N55: Aventures et mésaventures d'une mouche

MANUSCRIT N°55

Aventures et mésaventures d'une mouche

Enfant

1ER PRIX

LAUREAT

AVENTURES ET MESAVENTURES D'UNE MOUCHE

Des larmes coulaient de mes milliers d’yeux. 

Ce dimanche, 10 heures sonnantes, tout le monde était réuni au cimetière de l’église. Devant le cadavre de ma mère, nous toutes, muscas domesticas, nous sentions emplies par le même sentiment: la haine. 

La haine des humains, qui avaient tué, sans pitié, à coups de tapette, une pauvre mouche sans défense qui cherchait seulement à nous ramener une petite friandise, un petit grain de sucre. Dire qu’elle n’aurait pas fait de mal à une mouche! 

Dès le lendemain matin, après une journée de deuil, je mis au point un plan: je voulais me venger et tuer (ou au moins pousser à bout) ces humains dégénérés. J’allais voir mes deux frères, Bzzzzz et Bzzzzzz, et d’autres cousins, pour créer la LCLHF (la Ligue Contre Les Humains Féroces). 

Dès le dîner, nous nous sommes mis au travail. Le couple de la maison était attablé, devant la télé. Au programme, le journal d’information dont le thème principal est, devinez quoi? La nuisibilité des… MOUCHES! 

« Vous en avez peut-être chez vous, noires, poudrées de gris blanchâtre, large front séparant les yeux, de 7-8 mm de longueur de corps, cette larve omnivore, également saprophage, coprophage et/ou zoophage, couramment appelée mouche domestique, est, en cette période estivale, un des parasites les plus présents dans les maisons. Nous recevons aujourd’hui l’entomologiste Philippe le Gall, président de la société entomologique de France, qui va nous expliquer la vie des ces nuisibles, un des insectes les moins aimés de la société humaine… » 

C’en était trop! Nous décidâmes alors de commencer l’opération plus tôt que prévu, et d’un seul coup de nos multiples yeux, nous nous mîmes d’accord. En quelques secondes, nous envahîmes l’écran de la télévision, et déféquâmes dessus. (Quelle chiure!) Le maitre de la maison était furieux et prit la mouche en moins de deux. Sa femme courut vite chercher LA tapette, et alors que je la poursuivais discrètement pour voir où ils cachaient l’arme fatale, j’entendis un bourdonnement soudain: notre cri de guerre! Mes compatriotes lançaient l’attaque! Vite, je me précipitai dans la salle à manger voir ce qu’il se passait, et là, une vision d’horreur. Je voyais mes confrères tomber comme des mouches! 

Le grand (et gros) avait attrapé une autre tapette située dans un placard secret et écrasait tous mes amis en vol. C’était terrifiant. Je poussais le cri d’alerte, pour que mes amis me rejoignent et que nous retournions à notre QG, au plafond, derrière la lampe du salon. Nous fîmes le bilan: nous avions perdu 3 mouches, dont mon frère Bzzzzz ! La tristesse nous envahit tous de son rideau amer. 

Mais n’étions pas au bout de nos surprises!

Le lendemain midi, j’étais de corvée pour chercher un peu de sucre, ou de fruit pour ma famille, lorsque ce que je vis me mit la chair de poule (si on peut dire ça comme ça…), les deux humains avaient accroché quelque chose de nouveau au plafond, une espèce de bande, jaune, et la regardaient avec malice. Curieux, et attiré par cette chose nouvelle, qui avait, rappelons-le, la couleur du miel, je m’approchais. Quel délice! Cela sentait bon, mais bon! Je me décidai alors d’aller au plus près de cet objet: je pourrais, me disais-je, au lieu de prendre le risque de piocher dans une cuillère de confiture, ramener un petit peu de cette matière visqueuse et alléchante dans mon foyer! 

Au moment où j’allais me poser sur cette bande engluée, un détail me frappa: les deux humains, m’avaient remarqué, et pourtant, ils ne bougeaient pas d’un cil pour aller chercher l’arme fatale et me regardaient avec un sourire mi malicieux, mi-ébahi. Bizarre… Alors que je commençais à me méfier et à faire marche arrière, un de mes cousins, Bzbzbz, se jeta contre la bande gluante (cela faisait longtemps qu’il n’avait rien vu d’aussi appétissant)… et resta collé! Les deux gros rirent d’un rire gras qui ne fit qu’accentuer et justifier ma méfiance et ma haine envers eux: ils voulaient nous détruire un par un de cette manière! J’essayai de décoller Bzbzbz, sans résultat: il était condamné. 

Je rentrais vite, poussais le bourdonnement de rassemblement et avertissais toutes les mouches de la maison: un d’entre nous s’était sacrifié, il ne fallait pas que d’autres fassent la même erreur! 

Le soir même, avec la LCLHF, nous avons lancé une nouvelle opération d’attaque, pour nous venger de leur acte ignoble. Le couple regardait Fast and furious 8, bien confortablement assis dans leur canapé. Nous étions bien décidés à perturber ce calme… Mon frère Bzzzzzz, qui était très proche de mon autre frère, était encore très triste. Avant, c’était le plus peureux, mais là (quelle mouche l’avait piqué?) il semblait enragé et bien décidé à les faire dégager! Il nous expliqua son plan, que nous approuvâmes. Il vola le plus bruyamment possible jusqu’à Madame qui poussa un cri d’horreur et alla chercher la tapette pendant que Bzzzzzz continuait à embêter Monsieur. 

Mais ce n’était pas fini! Ce soir là, nous les avons énervés, mais énervés! Nous enchaînions esquives sur esquives et bourdonnements dans les oreilles sur bourdonnements dans les oreilles! Ils finirent par aller se coucher en fermant leur porte à clé, mais quelle intérêt? Nous sommes passés sous la porte, ils n’ont pas fermé l’oeil de la nuit! Nous avions fait mouche! 

Pendant ce temps, nos confrères faisaient la fête devant Fast and furious! 

Le lendemain matin, à l’aube, les humains partirent précipitamment en voiture avec quelques valises: nous ne les avons pas revus depuis. Et maintenant, c’est la fête! Miettes de tartines, gouttelettes de miel et de confiture, restes de popcorn sucré… Quel festin! J’espère que ça va durer! 

- Juliette Lassagne-Nicollet