N66: Le clou du spectacle
MANUSCRIT N°66
L'Homme qui se tait
Adulte
LE CLOU DU SPECTACLE
Quand la lumière revint, il se rendit compte de trois choses, successivement.
La première c'est que la femme avec laquelle il avait été enfermé ne semblait pas au top de sa forme. Le fait que son corps et sa tête soient bien séparés, l'un assis, l'autre au sol, n'était d'ailleurs pas étranger à cette conclusion.
La deuxième c'est qu'il était le centre d'attention. Non seulement le public le fixait en silence, mais aussi du bord de la coulisse le magicien avec son assistante et, sur scène, non loin de lui, la journaliste.
Et la troisième c'est qu'il était le coupable idéal. La hache qu'il tenait dans la main et le sang sur lui n'aidant pas trop à le disculper.
Il regarda le corps, le public, la hache, le public, et lâcha la hache. Comme souvent quand il était gêné, il eut un petit rire. Ca ne joua pas en sa faveur. Il le savait mais n'avait pu se contrôler. Il se tourna alors vers le magicien.
Celui-ci avait un air bête. Encore plus maintenant qu'il semblait figé par la surprise. Vieux beau de taille très moyenne dans un costume trop large et brillant, il avait enchaîné des numéros assez classiques avec un humour que n'aurait pas renié Max Pécas dans un de ses films. Son assistante avait perdu le sourire qui, jusque là inamovible, semblait être la séquelle d'un AVC récent. Son peu de vocabulaire semblait d'ailleurs attester cette hypothèse. Son habit de scène aussi brillant que celui de son comparse, la couvrait nettement moins.
La journaliste, avait laissé tombé la bougie qu'elle avait, puis prudente, recula vers la coulisse, s'éloignant de lui, et résuma la situation d'un mot : « Putain ! ». Ensuite, pragmatique et professionnelle, elle sortit son téléphone et prit une photo.
Il ne la sentait pas cette soirée, il ne la sentait vraiment pas. Sa nièce Sophie, fan absolue de magie, tenait à voir cet illusionniste qui faisait des tours dans un univers d'horreur gothique, malheureusement plus Twillight que Nosferatu. Elle avait baratiné pour les faire entrer dans ce cabaret pourtant interdit aux mineurs en le faisant passer pour un auteur à succès de polars avec lequel il avait une vague ressemblance. Résultat ce magicien de pacotille l'avait fait monter sur scène avec la directrice, vieille emperlousée et sur parfumée ainsi qu'un une journaliste connue (enfin lui ne la connaissait pas) pour le clou du spectacle : une disparition et une ré-apparition de trois personnes, eux.
L'assistante au sourire aussi sincère que celui de Berlusconi les avait alignés. On leur avait donné à chacun un objet, une hache donc pour lui, une bougie pas allumée pour la journaliste connue mais pas tant et, pour la pas encore décédée, un fauteuil où on l'avait assise et attachée, comme un poste de torture au milieu des deux autres. C'était une mise en scène assez nulle il faut le dire, mais cohérente avec le reste du spectacle.
Les deux artistes avaient alors tendu un grand drap (rouge bien sûr) entre eux et le public. Un souffle se fit alors. Ils enlevèrent le drap. Le public réagit avec des Ooooh et des Aaaaah. Ils avaient disparu. Enfin pas tant. Ils étaient cachés surtout. Mais ça le public n'avait pas l'air de s'en rendre compte. Puis le drap fut remis et... Coupure de courant. Grand bruit. Puis retour de la lumière et ce fut la découverte du drame.
Il restait silencieux. Comme le public, nombreux, qui ne savait pas si c'était encore le numéro ou non.
Une main se leva alors et une voix, pas très forte, se fit entendre : « Je sais ce qui s'est passé. »
Sophie ! Sa nièce s'était levé, dérangea tout le rang, se frayant un passage jusqu'à la scène.
Il était ébahi. Si elle disait qu'elle savait, c'est qu'elle savait. Il l'avait toujours trouvé incroyable cette gamine. Elle ne payait pas de mine comme ça. Petite, un peu ronde, des grosses lunettes, les cheveux en pétard, s'habillant n'importe comment, mais à 15 ans déjà plus intelligente que beaucoup d'adultes, dont lui. Elle s'intéressait à énormément de choses et comprenait tout plus vite.
Elle arriva sur scène et le montra :
« Ce n'est pas lui. »
« Mais il... »
« Il n'a pas de mobile et comment voulez-vous trancher une tête avec une petite hache de théâtre et sans support pour bloquer le cou. Même avec une guillotine il faut s'y reprendre souvent à plusieurs fois. Cela demande une force qu'aucun homme n'a. Encore moins lui. »
Il ne prit pas mal cette dernière affirmation, sa liberté valait plus que son faible orgueil de mâle.
« Et puis le mobile. Quel intérêt à tuer cette femme ? Devant tout le monde en plus. La seule personne qu'on aurait pu tuer à la rigueur à la fin de ce spectacle c'est ce magicien pour la déception qu'il nous a causée mais pas elle. Et puis il n'y a pas de coupable car il n'y a pas meurtre, c'est un accident. »
Et elle d'expliquer que pour ce clou du spectacle ils font descendre très rapidement une façade en miroir quand le drap cache les invités. Une fois enlevé, ils ont l'air d'avoir disparu, le miroir augmentant artificiellement la profondeur de cette demi scène. Ils remettent le drap et c'est là que la problème est arrivé. Une tige de cette façade a dû se tordre, se prendre dans les nombreux colliers de la directrice et, quand la façade est remontée d'un coup dans les cintres. Sa tête est partie aussi, tapissant de sang ceux qui étaient en dessous, c'est à dire, lui.
Il y eut un temps. Puis un applaudissement, puis deux, puis toute la salle, magicien compris. Elle salua et retourna s'asseoir l'air de rien. Il hésita, puis descendit de scène. Le rideau se ferma. Et, enfin, on appela la police. Le public sortit et il attendirent les autorités au bar avec la journaliste et l'équipe du cabaret.
Il se tourna alors vers sa nièce et lui fit un gros bisous sur la joue. Il faudra qu'il la remercie un jour, vraiment !
- Nicolas Guépin
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