N49: La Fresque Humaine

MANUSCRIT N°49
La Foule
Adulte

LA FRESQUE HUMAINE

L’atmosphère estivale est suffocante. Les hommes et les femmes se pressent le long du faubourg Saint-Honoré. Les talonnettes des femmes martèlent les pavées, un rythme étouffé par les pas joyeux des gentilshommes sortant du café latéral. Le tintement des portes des boutiques qui s’ouvrent et se ferment, faisant apparaître grandes dames à chapeaux colorés, sortant les bras chargés de paquets. L’ambiance est animée. Les éclats de rire des messieurs s’apprêtant à rentrer dans le café et les couples qui profitent de la fin d’après-midi de cette journée ensoleillée de mi-août. Spectateur du raffut humain de la ville, j’observe la foule qui défile et s’amenuise à mesure que tombe le crépuscule. Les cafés se préparent au service du soir, les hommes qui se saluent d’un revers de chapeau haut-de-forme pour se séparer au tournant d’une rue. Les chiens qui errent la langue pendue dans les rues avoisinantes, à la recherche d’un peu d’eau pour s’hydrater. Les râles de fumée qui couvrent d’une fine brume blanchâtre cette peinture mondaine, offrent une vision presque surnaturelle des rues parisiennes. Comme un souvenir éloigné d’une vie passée. Jeune badaud que je suis, je ne me lasse jamais de cette comédie humaine. Adossé à une rambarde en bordure d’un théâtre, la veste posée sur le coude, la posture en avant, je regarde la vie diurne qui peu à peu laisse place aux noctambules. D’un revers de la main, j’essuie de mon front la sueur des jours chauds et caresse ma moustache ébouriffée. La cigarette se consume, rongée par la rouge couleur qui la brûle toujours un peu plus. Les cendres lentement chutent sur les pavés arides de la route sur laquelle les calèches passent. Le soleil décline et les lumières de la ville nocturne s’allument. Messieurs et mesdames en tenue de soirée, défilent pour pénétrer dans la structure haussmannienne et assister aux vaudevilles populaires qui s’y jouent. Les messieurs gais après une ou deux boissons de trop, sortent en titubant, énonçant sornettes et riant à gorges déployées. Les gens tantôt se bousculent, défilent avec prestance, le pas lent et prononcé, le buste droit. Le visage fier du jeune amant qui s’apprête à rencontre sa belle, ou neutre et froid pour le bourgeois bien établi. Une femme en tenue de cabaret, maquillage grossier et décolleté ouvert plus que bienséance n’accorde, m’aborde. Je lui fais gentiment signe que je ne suis pas intéressé. Pestiférant quelques mots grossiers, elle s’éloigne pour aller à la rencontre d’autres messieurs. Un commis renverse ses caisses de bordeaux qui se brisent sur le trottoir. Me parviens à l’oreille les remontrances écriées de l’employeur à l’encontre du malheureux. Le Paris de 1834 est plus vif que jamais. L’été et les beaux-jours, les soirées qui n’en finissent pas, embaument le coeur des parisiens. Les appartements haussmanniens s’illuminent et les fenêtres de la rédaction s’éteignent, exceptées quelques unes. Sûrement quelques nouveaux journalistes, qui rédigent et peaufinent leur premier article. Le foule se densifie. J’écrase mon mégot sur la rambarde et le jette dans la chaussée. Je me retourne et observe le mouvement gracieux des jupons sophistiqués et de tous les goûts, des dames parisiennes. Quel chic. Leurs éventails en main, elles s’éventent pour lutter contre la chaleur persistante. Quelques travailleurs, le visage noirci par la suie, remontent les beaux quartiers. Cette peinture sociale me laisse pensif et quelque part, me rend nostalgique. Je ne suis qu’un minuscule rouage dans l’immense machine que sont l’Homme et la société. Rêveur, je contemple cette foule qui se vêtit de milles couleurs et artifices. Individus qui derrière ces parures et tissus, ne sont que tous semblables. J’hume cette atmosphère, cocktail de effluves humaines et de parfums estivaux. La liqueur manque à cette scène parisienne, je la laisserais bien couler dans mon gosier et raviver ma gorge asséchée par l’air environnant. Dîner fringale s’annonce, pour les badauds qui comme moi, observent mais qui n’ont le sou. Qu’importe ! Le jeune parisien vit au jour le jour. Il ne devient pas riche du premier coup, opportunité et expérience sont requises pour quiconque veut vivre dans la mondanité, la richesse et l’élégance. Je laisse à demain le travail d’opportuniste, qui mêle malice et stratégie, esprit et agilité. Ce soir, je profite de la vue d’une foule, la foule parisienne qui dans les rues animées, s’agite et pullule dans un joyeux vacarme. 
- Juliette Fichet

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