N44: C'est la Fête à Valence et J'ai Dix-Sept Ans

MANUSCRIT N°44
La Foule
Adulte

C’EST LA FETE A VALENCE ET J’AI DIX-SEPT ANS

C’est un jour magique ! Je m’habille pour aller me noyer dans la ville de couleurs au milieu des cortèges et des défilés et je m’apprête à déguster de succulents beignets. Chaque année au printemps c’est la fête à VALENCE. Cette fois j’y vais toute seule avec ma petite sœur Alicia, nous retrouverons nos parents en début de soirée pour assister au feu d’artifice. 
Je porte une robe de soie mauve, confectionnée par ma mère, ma sœur a mis sa belle robe verte à volants. Je suis aux anges d’autant plus que Hugo, mon petit ami, nous a donné rendez-vous place de la Redonda pour manger une glace avant de participer à la démonstration de salsa. 
Je déambule dans les rues et parviens à intégrer le boulevard. Les couleurs, les sons et les odeurs de sucre se mélangent, mon cœur palpite. 
La fanfare résonne déjà, le monde est heureux, il arrive progressivement. Sous un soleil digne d’un mois de juillet, la douceur de l’air vient caresser mes jambes et mes bras nues : c’est bon ce premier soleil vigoureux ! Je serre très fort la main de ma sœur. 
Excitée à l’idée d’aller danser la salsa avec mes camarades, je m’efforce de me rapprocher place de la Redonda, ou Hugo m’attends. 
Je me mets sur le côté trainant ma sœur agitée car au milieu du boulevard un immense char avance lentement. Deux couples de danseurs de samba font une démonstration de danses brésiliennes, leurs costumes très colorés sont à couper le souffle ! c’est tellement beau et éclatant que j’ai du mal à y croire. 
Suffoquant sous le soleil et sous la joie, j’entends dans la musique les cris, les rires qui éclatent et rebondissent autour de moi. 
Je file sur la droite dans une ruelle et enfin je respire un peu : une forte odeur de café grillé et de caramel plane et embaume mes narines. Je sens une excitation grandissante. Je prends quelques sous et achète deux beignets à une gigantesque marionnette qui déambule sur un vélo bleu turquoise à poids rouge, elle laisse sur son passage une buée rose nacrée : c’est brumeux c’est très beau. 
Je flâne un moment en me délectant de tous ces moments : de cette foule, de ce bain de chaleur humaine, de cette gaité collective qui se propage, … de ces comédiens qui jouent sur des petites placettes, du son des trompettes qui résonne de plus en plus fort. Au milieu de ce monde infantile qui grouille, les regards lumineux se croisent, les gens sont beaux. A côté de moi un groupe de jeunes chantent « Esperanza « ! 
Je me sens comme portée, je me perds dans mes pensées mais quelle heure est-il ? je n’en ai pas la moindre idée. Il est temps de rejoindre Hugo. Pour retrouver la place de Redonda j’essaye de me rappeler : il faut aller au bout du grand boulevard et récupérer la rue à droite qui débouche sur la place. 
Je me dirige vers cette rue tout en serrant la petite main de ma sœur et dans l’ambiance de la fête les gens s’agitent soudainement …. Je me fais piétiner, j’ai mal aux pieds. 
Insidieuse et progressive la marée humaine grandie, s’allonge et prend forme comme un liquide qui rempli chaque ruelle, chaque boulevard, chaque place, je ressens une légère inquiétude. J’ordonne alors à ma sœur de ne pas me lâcher la main, elle gémit, elle aurait bien envie de se reposer un peu. 
Soudainement, bousculée par un cortège de petites danseuses je suis propulsée en avant, les fillettes s’infiltrent deux par deux au milieu de la grande rue : chacune porte un costume en soie d’une couleur différente, elles défilent en tourbillonnant sur elles-mêmes. 
Dans cette cohue, je commence à me sentir étourdie, je crains pour mon sac, je le porte en bandoulière et le serre très fort contre moi il n’y a plus d’espace entre chaque personne, la tête de ma sœur m’arrive à la taille. La chaleur se fait plus intense, j’ai un peu de mal à respirer normalement, la soif et un peu de fatigue se font sentir. 
La foule grouillante ne forme qu’un seul corps à présent. Je suis soudainement prise d’un point d’anxiété : comment me diriger vers la place dans ce monde ? Je ne me sens plus libre de mes mouvements je suis paralysée, enfermée. 
Pour échapper un peu à mon malaise, je pense à Hugo, il me tarde de le voir, puis tout à coup je prends conscience que je ne tiens plus la main d’Alicia. A cet instant, je sens la panique monter, je tourne ma tête de tous les côtés. 
J’essaye de faire demi tour mais impossible d’aller en arrière ! alors je me mets à l’appeler : - Alicia ! Alicia ! Alicia ! 
Mes yeux affolés cherchent de partout dans la masse multicolore, ce n’est pas possible, elle ne doit pas être bien loin, j’essaye de respirer. Il faut que j’aille retrouver Hugo.
Des vielles dames me bousculent. Je me mets à pester ! « et puis quoi encore ? » Enervée, j’entends tout à coup des cris qui résonnent comme des plaintes puis une fumée noire s’élève dans le ciel, que se passe t-il ? 
J’entends une voix derrière moi : 

- Le char qui transporte les danseurs de samba a pris feu et … 

Je n’entends plus rien. Autour de moi, j’interpelle les gens en les tirant par le bras - Avez-vous vu une petite fille vêtu d’un costume vert ? les cheveux bruns ? c’est ma sœur, je ne trouve plus ma sœur ! 
- Non mon petit il y a tellement de monde ! et tes parents où sont-ils ? - Et je me mets à crier à nouveau : - Alicia ! Alicia ! 

J’éclate en sanglot il faut que je retrouve Hugo mais la rue qui mène à la place n’est pas accessible, j’entends des hurlements puis le bruit des sirènes. 
Je sanglote dans l’indifférence de cette jungle déchaînée, « Hugo viens à ma rencontre ! s’il te plait » ! J’entends : « le char a pris feu ! rentrez chez vous » ! 
Non je ne rentre pas chez moi j’ai perdu ma sœur et peut être est-elle morte à cette heure ? 
Mes pensées me submergent, je me sens faiblir, je ne sais plus ou aller, les forces me manquent j’ai failli tomber. Puis, en relavant la tête il me semble apercevoir Hugo de dos, alors je me déchaine, mes forces se décuplent et de tout mon élan je fonce dans la cette foule gluante essayant de presser le passage : plus rien ne compte ! retrouver Julia et Hugo c’est tout, le reste m’est complètement égal. 
Je bouscule des gens sur mon passage même des personnes âgées je ne suis plus la douce Julia, je suis une bête enragée … puis la silhouette de Hugo disparait. 
Le ciel est complètement sombre maintenant, je deviens une âme errante, ma coiffure est défaite mes cheveux sont en bataille et j’ai déchiré ma robe. Je cours en hurlant Alicia ! j’hurle tellement fort que je n’entends même plus le son de ma voix, comment tout cela a pu virer au cauchemar ? 
J’ai la tête qui tourne et envie de m’enfuir. Jamais je n’avais imaginé que c’était dangereux d’être ici . Je ne me rappelle plus ou j’habite, je suis déboussolée, anéantie. 
Après de longues heures d’errance, je fini par reconnaitre le chemin qui mène à la maison mais je ne peux pas rentrer ….. je ne vois pas de lumière, tout est éteins, comme c’est étrange ? Je pénètre dans le jardin, j’ai très froid mais je m’allonge sur le banc épuisée. - Julia ? 
Je me réveille en sursaut les cheveux me collent au visage. Je prends conscience que je suis sur le banc devant la maison j’essaye de reprendre mes esprits, de me souvenir, il fait très chaud et Hugo m’apporte un café fumant, il me caresse les cheveux et m’embrasse : 

- Que fais tu sur le banc à une heure pareille, il est huit heures ? 
- Il faisant lourd cette nuit je suis descendue prendre de la fraicheur. 
- Tu as l’air fatiguée bois ton café et rentre te reposer, c’est dimanche. 
- J’ai rêvé de nous ….. et de Alicia : c’était la fête à valence : nous étions tout jeune, il y avait cette foule, ces couleurs : c’était beau puis tout à basculé. 
- Alicia ? tu n’as plu de nouvelles depuis bien longtemps ? Ah les rêves ! …. rentre maintenant, tu me raconteras plus tard. 

Je suis rentrée à l’intérieur avec ce sentiment «d’inachevé». La nuit avait été belle et éprouvante : cette fête, cette petite sœur perdue. Alors je me suis allongée puis j’ai fermé les yeux dans l’espoir que le rêve reprenne le dessus dans l’éclat de la foule imprévisible. 

- Christine Steibel

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