N36: L'Homme qui se Tait

MANUSCRIT N°36
L'homme qui se tait
Adulte

L'HOMME QUI SE TAIT


On sonna à la porte. Un joli bruit de sonnette puis le cri d'un perroquet L'attente dans la fraîcheur de la petite rue ne dura que quelques secondes : la jeune femme en salopette ouvrit la porte et leva les yeux sur l'inconnu. - Mot de passe? - Atome. La jeune femme s'effaça sur le côté et l'inconnu entra. Il se trouvait dans un charmant vestibule d'une parfaite propreté, tout en longueur et à l'allure bourgeoise. Un beau dallage au sol reprenait des motifs de carrés noirs et blancs, les bords du plafond s'ornaient de délicates moulures en plâtre et les murs d'un blanc mat immaculé rehaussaient les lambris qui les aillaient. Il régnait dans l'entrée une odeur de peinture fraîche. L’inconnu affecta un nez sensible et avança précédé par celle qui l’avait fait entrer. A sa droite une énorme cage à oiseau trônait sur une commode en bois laqué. Sur le perchoir reposait un beau Gris du Gabo. L’animal le regarder d’un air méfiant et siffla étrangement avant de dire : mais que faits-vous L’inconnu le toisa et l’oiseau se tut. Les deux débouchèrent finalement dans un salon qui ressemblait dans la décoration à un cabinet de curiosités. Ici et là des vieux ouvrages, dictionnaires, divers petits crânes d’oiseaux et un tableau représentant une maison dans un nuage La femme fit asseoir l’inconnu et pris soin de lui indiquer le siège le moins confortable de la pièce. A regret et en soupirant, il s’assit prudemment sur la chaise. Elle, en face, s’appuya contre le bureau, ses mains pleines de peinture épousant le bord du meuble, et pris exactement dix-huit secondes pour l’observer et finit par dire : 

- Je suppose que vous êtes venu voir le taiseux ? 
- Je vous demande pardon ? 
- Le sociopathe de service qu’on nous a refilé la semaine dernière, c’est bien pour ça que vous êtes là non ? 
- Je suis là pour l’homme qui se tait, répondit-il froidement
- L’homme qui se tait, c’est ça oui. Bon, suivez-moi. 

L’inconnu se leva et la femme se redressa pour se diriger vers l’entrée de la pièce. Une horloge sonna seize heures. La femme sursauta. Déjà ? murmura-t-elle Justement apparut dans l’encadrement de la poste une imposante grand-mère, vêtue d’un ample peignoir de soie qui la serait à la taille. Cette dernière s’adressa à la jeune femme : « allez, va donc finir ton travail. » La jeune quitta prestement la pièce. La vieille jeta un coup d’œil à l’inconnu et l’invita à la suivre, il convainc d’un sourire entendu. Ils sortirent, passèrent par la fin du vestibule et s’enfoncèrent dans la maison.
L’arrière du pavillon comprenait un agréable et large jardin d’intérieur. La serre était agrémentée de sculptures singeant des nymphes, d’un buste assez grotesque de quelque grec émérite et d’un petit bassin à poisson rouge ? La vieille femme et l’inconnu avancèrent sur le sol dallé du jardin et s’assirent autour d’une mignonne petite table blanche en fer forgé afin de prendre le thé. 

- Quel est son état ? demanda l’inconnu en sirotant son Earl Grey
- Il ne parle toujours pas, si c’est ce que vous demandez.
- Le Bureau ne l’a pas appelé l’homme qui se tait pour rien, madame.
- Mais c’est bien pour ça que l’on vous a envoyé ici non ? répliqua la vieille avec un sourire 

L’inconnu reposa sa tasse, affectant un air grave de professionnel. 

- J’ai bien peur que le temps nous manque pour discuter plus longuement, madame. 

Cet excès de froideur n’était qu’une tentative pour dissimuler son anxiété à la vieille. Cette dernière l’avait remarqué, et amusée par l’effet que la situation produisait chez l’inconnu, se contenta de sourire et dit laconiquement : suivez-moi ? La vieille entrouvrit une petite porte dissimulée sous une tapisserie. Les deux traversèrent le passage.
Un air de piano retentissait dans la partie gauche de la maison. L’odeur de peinture était âcre à cet endroit en longeant un couloir blanc comme neige, l’inconnu aperçut la jeune femme accroupie au niveau des plaintes du sol, occupée à donner de minutieux coups de pinceaux sur des tuyaux de raccord de gaz. Elle leva la tête puis reprit consciencieusement sa tâche. Es deux autres la dépassèrent et tandis qu’ils atteignaient le fond du corridor, l’inconnu demande si elles entreprenaient une rénovation. La vieille eut un rictus et s’arrêta finalement devant une porte blindée. Elle minauda : 

- Etes-vous prêt monsieur ? Je veux dire, avez-vous déjà questionné un peu…. Rudement… un homme ? 
- Je le suis toujours quand il s’agit d’exécuter mon travail, madame. En réponse, la vieille sortir un trousseau de clefs et s’attaqua aux cinq serrures de la porte.
- Je vous en prie, invita-t-elle avec un geste de main. 

L’inconnu s’engouffra dans l’obscurité et prudemment commença à descendre les escaliers faiblement éclairés par une simple ampoule perçant e bas plafond. Au sous-sol, pas d’odeur de peinture, d’air de musique, de sifflement de perroquet, seulement le faible ronronnement de la chaudière et l’odeur de la cave. Puis le claquement de la porte massive qui se refermait quelques mètres plus haut. 
L’homme leva la tête pour regarder sombrement la porte close puis se retourna et s’avança dans la pièce il osa sur un établi sa valise qui n’avait pas quitté sa main depuis qu’il était entré dans la maison. Les mains sur le meuble, il respira lentement en regardant le mur face à lui et demanda maladroitement : 

- Comment allez-vous aujourd’hui monsieur ? (pas de réponse) Etes-vous bien traité ici ? 
- Et vous, on vous a bien traité ? Ce fut au tour de l’inconnu de ne pas répondre mais mamie vous a bichonné je parie. Earl Grey et petits gâteaux aux amandes n’est-ce-pas ? Elle est attachée à ce petit rituel quand elle se voit obligée d’accueillir les ronds-de-cuir du Bureau un geste de compassion je suppose. 

L’inconnu eut un moment de pause puis se retourna et observa à la fois surpris et anxieux l’homme qui se tenait assis dans un canapé Chesterfield devant le mur opposé. 

- Je dois avouer que l’assise est fort confortable. Surement que vous ne pouvez-vous payer ce genre là avec votre petit salaire d’employé de bureau (moment de silence). J’imagine votre surprise, pensant pouvoir m’observé ligoté sur une simple chaise en bois. 
- Vous parlez beaucoup pour qu’on vous appelle l’homme qui se tait, monsieur, répliqua le bureaucrate, tentant vainement de se redonner une contenance. 
- Ah ? C’est comme ça qu’ils m’appellent tous au Bureau ? Intéressant… Mais visiblement vous ne savez pas pourquoi. 
- Je ne suis pas sûr de comprendre en effet, répondit-il très péniblement. 
- Votre successeur était sacrément rapide, il a même pu atteindre le vestibule avant que je finisse de l’achever devant Charlie, ce pauvre perroquet. (moment de silence). Ecoutez, poursuivit-il en sortant un Beretta de sous un coussin, voyez plutôt cela comme un licenciement un peu radical. Le Bureau a parfois besoin de disons… mes services et ma discrétion, d’où mon surnom, quant au cas de certains employés travaillant sur des dossiers bien trop sensibles pour leur compétences. Parfois il s’n rend compte à temps et les transfère sur de la paperasse, et c’est tant mieux ! Seulement dans votre cas, il semblerait que vous en savez un peu trop. Autrement dit, c’est un piège monsieur.

Quarante-sept secondes plus tard. 

La jeune femme regarda horrifiée le sang qui dégoulinait sur le mur et s’écria : 

- Encore ? mais mamie je venais de finir le couloir ! je ne vais pas repeindre et nettoyer de fond en comble à chaque fois que quelqu’un du Bureau passe ! 

La vieille enjamba le cadavre et répondit : 

- Considère-toi heureuse : contrairement à la boucherie d’il y’a deux jours, cette fois-ci, tu n’as à repeindre qu’un seul pan de mur.

- Béatrice Mollier

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Bienvenue sur le "Singe à Plume"

Ma musaraigne, par SamElsa Pivo