N35: Interrogatoire

MANUSCRIT N°35
L'homme qui se tait
Adulte

INTERROGATOIRE


Elle : ….... 
Lui : Vous avez la parole, vous pouvez y aller 
Elle : Je peux parler ? Je sais que je ne suis pas très douée pour ça. C'est la première fois que je suis convoquée, vous comprenez.........Bon, j'y vais.......... Je me sens seule. Vous voyez, je cherche à faire quelque chose de ma vie, mais je ne trouve pas. J'ai 47 ans, pas d'enfant, pas de compagnon, pas de chat, pas de chien, et puis que des petits boulots. Mais je fais pas le trottoir, je vous le jure ! Bref, une vie de merde. 
Excusez-moi de vous dire ça, mais vous, vous devez tout avoir, instruction, argent, famille heureuse. Vous ne croyez pas que j'ai raison ? J'ai déjà rencontré des gens comme vous, enfin pas tout à fait comme vous, mais quand même, ils vous ressemblaient, et bien je ne leur ai jamais plu. Malgré tous mes efforts. Je me demande pourquoi je me maquille, je vais chez le coiffeur ........... 
J'ai perdu ma mère à 25 ans, enfin c'est elle qui avait vingt-cinq ans, moi j'avais trois ans, je ne me souviens plus de sa figure, vous pensez, ça fait si longtemps. Mon père m'a placée chez une tante qui n'avait pas d'enfant.... elle ne savait pas s'occuper des enfants. A seize ans, j'ai fait une fugue, on m'a retrouvée dans un bistrot pas loin de chez elle, je ne sais plus quel bistrot, mais ça n'a pas d'importance...... 
L'autre soir, je croyais revivre ce truc, je noyais ma solitude dans un bistrot du quartier, j'étais devant ma bière quand je l'ai vu, lui, debout au comptoir. Il avait l'air louche, il me regardait d'une drôle de façon, ouais je vous le dis, d'une drôle de façon. Je n'osai pas le regarder en face. Et puis, j'ai cru qu'il s'approchait de moi, j'ai pris un couteau, je ne savais plus ce que je faisais, j'avais mes yeux qui me trompaient, il était là, je vous jure, près de moi, il me voulait du mal.....
Je suis sûre qu'il me reluquait, les hommes ça pense qu'à ça. Un peu comme vous en ce moment. 
C'est vrai, je parle, je parle, et vous, vous me reluquez, comme l'autre ! Remarquez, si l'autre il me plaisait pas avec sa gueule de merlan frit, vous, par contre, vous êtes pas mal. Vous êtes même plutôt à mon goût. Vous êtes marié, je vois. Mais ça n'empêche pas...... 
Qu'est-ce que c'est que ça, sur votre bureau ? Un magnétophone ? Alors, comme ça, vous m'enregistrez ! Tout ce que je vous confie maintenant, ça va être là-dedans ! C'est une preuve que vous voulez ? Un aveu ?..... Attention, vous n'avez pas le droit de m'enregistrer, je vais le dire à votre femme, je vais lui dire que vous me faites du gringue, que tout ça c'est de votre faute, qu'on m'a obligée à venir. Je lui dirai tout. Vous n'êtes qu'un sale mac, qu'un pervers. Oui, oui, je le vois dans votre regard lubrique et votre sale gueule de flic ! Vous ne dites rien, vous voulez que je crache le morceau, hein, vous voulez m'embarquez, c'est ça ! 
Si vous continuez, je vais m'énerver. Et quand je m'énerve, ça devient dangereux. J'en ai descendu déjà pas mal, ces gars comme vous, dans la zone. 
C'est dans la boite, ça ? Vous savez tout de moi, maintenant...... 
Je vous hais, malgré votre gueule de bon apôtre, oui, oui, vous me laissez parler, vous voulez m'avoir pour me culpabiliser, pour me mettre en tôle, j'ai rien fait, je vous dis, j'ai rien fait. Vous pouvez m'arrêter, je suis innocente ! C'est bien la police, ici ? 
Lui : Vous êtes chez votre psy, Madame. Notre rendez-vous est terminé. Lundi 15h.

- Jacqueline Paut

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