N18: Quand l'Homme qui se Tait Rencontre l'Homme qui Rit et l'Homme qui Marche

 MANUSCRIT N°18
L'homme qui se tait
Adulte

QUAND L'HOMME QUI SE TAIT RENCONTRE L'HOMME QUI RIT ET L'HOMME QUI MARCHE

Qu'est-ce qui pousse l'homme à se taire ? L'homme qui se tait lui seul le sait. Est-ce le poids trop lourd des aveux ou des remords qui le ferait pencher vers l'avant au risque de s'écrouler si les paroles jaillissaient trop brusquement ? Submergé par ce flot aurait-il la force de supporter la vérité et ne préfère-t-il pas se taire de peur d'être jugé, critiqué, de peur d'oser s'engager sur de nouveaux chemins ?Pauvre de lui, pauvres de nous. Est-ce au contraire une sagesse venue du fond des temps qui lui ferait choisir le silence comme contenant toutes les paroles de l'humanité car la parole n'a d'égale que le silence incommensurable qui quelquefois la surpasse ? Approchons nous, vous et moi. Voyions cet homme assis sur un banc. Il est seul, un livre posé sur les genoux. C'est un homme d'aujourd'hui. Il sourit à l'enfant qui passe ou bien l'enfant qui passe lui sourit. L'échange du regard, l'échange du sourire, suffit. Il n'est pas pire ni meilleur qu'un autre, c'est un homme d'aujourd'hui qui a choisi de se taire. Il a rendez-vous avec un autre homme. Mais l'homme avec lequel il a rendez-vous ne viendra pas. Il est déjà là, dans les pages du livre et il l'attend. Contrairement à l'homme qui se tait, lui il ne sait que rire et pourtant il est triste. C'est un personnage créé de toutes pièces, un personnage de fiction. Il ne parle pas mais il exprime toute la misère du monde à travers un rictus éternel qui fait rire certains et qui lui le fait souffrir. Son âme est belle mais il ne peut pas montrer son vrai visage. On l'appelle "l'homme qui rit". Victor Hugo est son père. Qu'a donc à apprendre cet homme à l'homme d'aujourd'hui qui a choisi de se taire devant l'attitude irresponsable des hommes et la folie inconsciente du monde ? Sûrement que nous avançons tous masqués comme au temps des fêtes vénitiennes où chacun choisissait son masque pour se divertir en adoptant une autre identité, sauf qu'il ne s'agit pas d'une fête (ni d'une guerre d'ailleurs, c'est un autre débat) mais d'une prise de conscience générale qui nous offre une nouvelle façon d'envisager l'avenir. Aurons nous le courage de l'enlever ce masque qui nous colle à la peau, d'avancer à vue et sans fard, où allons nous reprendre nos petites habitudes de tous les jours, celles qui nous rassurent en nous abreuvant de discours insipides et sans âme ? De quel monde rêvons nous ? Saurons nous vraiment tirer parti de ce qui nous arrive, non pas en devenant quelqu'un d'autre mais qui l'on est vraiment ? Si les mains ne peuvent se joindre, que les coeurs le fassent, si les distances sont maintenues que notre regard sur l'autre s'intensifie, si le formalisme reprend ses droits que l'imaginaire et l'espoir le transcendent. Le masque n'est qu'un artifice, un accessoire de théâtre de plumes et de paillettes inoffensif lorsqu'il est porté comme une parure, mais il devient dangereux lorsque son propriétaire ignore qu'il en porte un et que seuls les autres le voient. Et pourtant, nous en portons tous, chacun à notre tour,ils ont pour nom orgueil, trahison, médisance, indifférence. Ces masques là nous devons travailler à les enlever en les remplaçant par ce qui nous rend meilleurs. L'homme d'aujourd'hui qui se tait, pris de pitié, continue à se taire, trop de paroles accumulées, ravalées, trop de mensonges, de faux semblants, qu'aurait il donc à dire qui ne soit déjà dit, il n'en a plus la force. Il préfère se taire, éco donc à dire sinon que le monde est fou, que cela ne peut plus durer, que ce qui nous arrive n'est que juste retour des choses,qu'il est temps, grand temps que cela change. Qu'aurait-il donc à dire sinon que son âme crie, par-dessus le ballet des apparences, laissez-moi vivre ! S'il faut parler plutôt que de se taire, les mots peuvent-ils enfin exprimer l'indicible ? Ils ne doivent pas couvrir le silence, le surchager, ils doivent simplement l'accompagner, le guider, lui donner des ailes pour qu'il accède à l'espace de nos coeurs. Voilà la vraie parole, celle qui enfin nous réunira tous. L'homme d'aujourd'hui est fatigué, il a soif d'horizons différents, de croire en l'humanité, en ses rêves. Il referme le livre et s'éloigne mais il ne perd pas espoir, ses pas le guident, il a rendez-vous avec l'homme qui marche. Arrivé sur le lieu du rendez-vous, il l'aperçoit, la foule est dense, il se presse. Enfin face à lui, il marque un temps d'arrêt et reste subjugué par la force qu'il dégage. Malgré sa silhouette longiligne, tout en lui exprime la détermination, l'envie d'aller de l'avant : sa démarche rapide, le haut du corps incliné, le visage expressif, rien ne l'arrête, pas même ses pieds fortement englués dans un sol qui paraît boueux. Il se veut, il se souhaite, tout entier figé pour la postérité, célèbre sans le savoir, exemple vivant d'un homme qui sait où il va, qui l'a décidé et que rien n'arrête, fort de ses déterminations, fort de vivre la vie qu’il s’est choisie en dépit des apparences. L’homme qui se tait le reconnaît, le salue de loin, sa main s’élève, toute entière contenue dans le geste du bras. On l'appelle "l'homme qui marche". Son père est Giacometti.  Alors, l'homme qui ne sait que se taire remettant au silence criant l’entière vérité, détourne les talons. Il sait maintenant, dans son cœur, ce qui lui reste à faire.
- Françoise Jardel

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