N86: La couleur des lendemains libres

MANUSCRIT N°86
C'était le lendemain de...
Adulte

LA COULEUR DES LENDEMAINS LIBRES

C’était le lendemain de ce matin-là ; le soleil nous avait boudé durant des temps et des temps. On ne savait plus s’il existait, on avait oublié son nom, on avait oublié sa chaleur, sa lumière, son éclat, son cadeau. 
Nous étions comme des souris dans un grenier vide, comme des chats sans souris. 
Tout était gris, Tout était plat. 
Qui habitait sur nos têtes, qui habitait plus bas ? 
Avions-nous assez d’imagination pour évoquer nos voisins ? 
Avaient -ils pris la couleur du temps ? 

« Ils doivent être blancs comme des endives … ! » avait décrété la plus petite des filles. 
On la surnommait Nougatine, car ces joues pleines avec des tâches de rousseur parsemées, faisaient penser à des éclats d’amandes grillées, posées sur deux nuages ronds, qui sentaient si bon au réveil !
Elle était espiègle et curieuse et puis, elle se doutait que quelque chose d’étrange planait tout autour d’elle. 
Pourquoi ce silence, pourquoi ce temps arrêté ? 
C’était comme un voile qu’il fallait déchirer. 
Elle observait, elle écoutait cherchant un signe, une musique, une couleur. 
Son espace ressemblait à une mer étirée, comme un miroir. 
Si elle s’était penchée, peut être aurait elle trouvé ce qu’elle cherchait … 
Un … Je ne sais quoi … 
Mais pour découvrir, il faut connaître autant que possible le désir de sa quête. 

Elle ne savait pas. Elle était trop petite, elle n’avait rien connu d’autre que sa vie monotone aux sons monocordes, se tissant semblable à un travail toujours recommencé, comme si insidieusement son cœur s’emplissait d’une plainte refoulée, d’une blessure à jamais refermée, durant des mois , des années , des siècles peut être.

Que cherchait-elle ? 
Quel désir la poussait ? Tel un astronome qui se doute qu’une étoile l’attend, une étoile extraordinaire … pas encore découverte, une pépite dans une coupelle, de l’or à sa vue, de l’eau chatoyante au bout des doigts, un arc en ciel aux milles facettes, tel un diamant …

Elle interrogeait Pierre. 
Pierre roulait ses yeux comme des pierres qu’entraîne un cours d'eau...
Pas de réponse ! 
Elle secouait son père, sa mère : étaient-ils devenus aveugles ou muets ou les deux, peut-être ? 
Ils se laissaient allée semblables à un soufflet épuisé.

Le temps allait venir où elle allait grandir sans repères. 
Alors, il fallait faire vite. 
Trouver quoi, quand, qui, comment, pourquoi ? Peu importe … 
Trouver, trouver, trouver … ! 

Comme une chrysalide qui quitte son corset pour déployer ses ailes, ainsi ce matin-là, quelque chose s’était mis à vibrer dans l’air … 
Un chuchotement, un frémissement, une caresse imperceptible, un parfum léger. 
Son cœur se mit à battre à toute volée. 
Toc toc, toc toc, toc toc,
Cependant le bruit ne venait pas de sa poitrine, mais de derrière les volets de sa chambre secrète, restés toujours fermés d’une si longue nuit. 
Toc toc, toc toc, toc toc, 

C’est moi, je suis un oiseau venu d’ailleurs. 
De mon bec, j’ai déchiré les nuages si menaçants. 
Elle ne comprenait pas, trop de mots à la fois : 
Nuages, déchiré, menaçant, oiseau, ailleurs, bec …

Elle s’angoissa … Trop d’exaltation, sa vie allait basculer. 
C’était trop fort, c’était trop brusque, c’était trop étrange, c’était trop inconnu ! 
Que faire ? Renoncer ?

Elle ressemblait à une enfant handicapée que la vue retrouvée, bouleverse, sidère, 
Il fallait s’habituer, prendre du recul, prendre du temps, tâtonner, comprendre, humer, changer, deviner, espérer, se métamorphoser ! 

Trop de lumière, tout à coup, trop de reliefs, trop de paysages, trop d’informations, trop de détails, trop de formes inconnus … 
Eblouie, aveuglée, troublée, transportée, elle passa ses mains sur ses yeux. 
Le Bonheur fait peur parce qu’il peut être éphémère si souvent. 
Devant un tel trésor, elle ne savait que faire. 
Alors, elle ouvrit sa porte, fit un pas, un autre pas.

Tout était inouï, incroyable, inimaginable. 
Allant de découvertes en découvertes, la fillette semblait s’étirer, se multiplier, se transformer, s’épanouir, grandir. 
Les couleurs si vives l’éblouissaient, le bruit, les senteurs, une chape de chaleur sur ses épaules, 
Un pays à découvrir, un désert habité, une autre vie … Sa Vie ! 

Où aller ? Par où commencer ? 
Tout la troublait, tout l’enivrait, tout l’enthousiasmait. 
Elle puisait dans l’horizon comme on puise l’or dans un coffre-fort. 
Allait-elle s’aventurer au-delà des montagnes ? 
Une fleur sauvage et fragile, à ses pieds secoua ses clochettes, telle une main avertie, appelant les domestiques ; 
Elle se pencha : 
Qui était-elle ? Que voulait -elle, quels étaient ses désirs, ses rêves, son devenir ?

Que de questions l’envahissaient, tandis qu’un bruit furtif la fit sursauter. 
Elle se retourna brusquement et, vit un garçon aux cheveux crépus. 
Non…. 
Ses voisins n’étaient pas blancs comme des endives ! 
Il la détailla : elle ne ressemblait pas à ses nombreux frères. 
Il la toucha, fut surpris, comme si sur sa main en se retirant, il avait laissé sur les joues de Nougatine, un peu de la couleur de sa peau. 
Cela le fit rire ! 

Le rire, c’est un trésor qui bondit comme une cascade à la fonte des neiges, d’eau claire courant dans l’air. 
Le rire chante comme le tam-tam des forêts, d’écho en écho. 
Le rire s’étale comme une montagne de chocolat au soleil, doux, sucré, suave, généreux.

Le soleil, astre du jour, aux rayons semblables à des fins pinceaux, jouant au clair-obscur, tel des tableaux aux peintures si harmonieusement superposées, se croyait Maître de l’Univers. Certes ! Toutefois, nous connaissons, nous qui ne sommes pas des savants, qu’il y a des éclats tout aussi chauds, tout aussi lumineux, tout aussi flamboyants, si riches, nichés en nos cœurs.

Pas de vie sans soleil 
Pas de vie sans Amour !

Que de souvenirs, que d’images, que d’émotions, passèrent alors dans le regard des enfants. 

Dans leurs yeux étonnés, on lisait le tumulte des océans, les sommets inespérés, les steppes brûlés, les déserts de glace, l’immensité des terres violées. 
Dans leurs yeux effrayés, on entendait des soupirs, des gémissements, des cris, des hurlements. 
Dans leurs yeux terrorisés, on voyait des femmes dominées, des hommes torturés, enchaînés, cassés, des troupes fracassées, du sang collé … 
Dans leurs yeux candides et purs, se dessinaient des larmes de joie, des paroles comme les messages d’une colombe, des perles si précieuses en chapelet, de doux secrets, une petite fleur si rare, couleur feu qu’on nommait « Liberté ! » 

La fillette pris la main de son petit voisin, à moins que ce soit le garçonnet qui lui tendit ses doigts. 

Doigts blancs, doigts noirs, comme les touches d’un piano qui, peu à peu, frémissent, respirent, bougent, s’élancent, s’envolent , offrant leurs notes … 
Voute céleste, langage universel ! 
Doigts Blancs, doigts noirs, tels le jour et la nuit, se frôlant ,se mêlant, se relayant

C’était le lendemain de ce matin-là … 
’aurore, voile de mousseline rose et argenté, s’étira, se gonfla, s’enroula … 
Danse folle toute pareille aux battements des ailes si fragiles du papillon,attiré par la lumière. 

Ce matin-là … Un oiseau s’envola !

- Mireille Permanne

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