N50: C'était le lendemain de ce matin-là...

Manuscrit N°50
C'était le lendemain de ce matin là...
Adulte
C’ÉTAIT LE LENDEMAIN DE CE MATIN-LA....

C'était le lendemain de ce matin-là; le soleil se multipliait dans les fenêtres les
plus hautes de la ville, il était sept heures, le ciel était rose, le ciel était clair,
c'était absolument beau, elle était profondément triste.
Elle aurait voulu graver cette image en elle, ne plus respirer pour mieux regarder,
fixer cette vue, comme si chaque détail pouvait rester imprimé dans sa mémoire,
comme si elle pouvait posséder à jamais ce qu'elle ressentait à cet instant.
Elle était là, plantée, sans oser bouger, les yeux perdus dans l'infini. Son infini,
son monde à elle. D'ici, quand le temps était calme, le matin elle pouvait voir se
découper toutes les Alpes au fond, en contre-jour. D'ici, le soir, elle voyait les
derniers mauves traînés par quelques nuages. Parfois un chien en bas.
C'était son dernier matin d'avant que ce ne soit après. L'idée de devoir étirer les
limites de sa réalité au-delà du cadre de cette fenêtre l'effrayait. Une dernière
grande inspiration comme pour goûter à ce moment précieux. Elle refermait la
fenêtre.
Il était déjà tard, c'était l'heure.
Elle se disait comme pour se donner du courage qu'après, ça ne pouvait pas être
pire qu'avant. Elle espérait. Elle savait qu'on l'attendait en bas. D'où viennent les
boules qu'on sent parfois dans la gorge? La lumière du soleil avait inondé la
pièce, elle savait qu'elle devait maintenant partir. Voilà, elle était sortie, avait-elle
jamais refermé une porte si lentement ? Elle souriait, les yeux humides et les
mains tendues, profitant jusqu'au bout de la vision de son petit monde qui
disparaissait à jamais derrière la lourde obscurité du palier.
C'est étrange parfois comme le temps se distend. Elle était étourdie, elle avait
l'impression de marcher au ralenti, comme dans la gélatine. Elle savait qu'on
l'attendait en bas. Qu'est-ce que c'est cette sensation de peur mêlée
d'excitation?
C'était le lendemain de ce matin-là et elle était sortie de chez elle. Elle faisait
résonner sa voix dans les escaliers comme pour se préparer à parler en vrai.
C'est idiot car quand on parle c'est toujours en vrai, puisqu'on parle.
Les autres étaient derrière la porte vitrée de l'immeuble et l'attendaient devant la
voiture. Elle souriait. Elle savait que c'était la dernière fois qu'elle serait vraiment
seule. Passer cette porte marquerait à jamais la fin de ce drôle de long moment.

- Marion Wuytz

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Bienvenue sur le "Singe à Plume"

Ma musaraigne, par SamElsa Pivo