N79: C'était le lendemain de ce matin-là

MANUSCRIT N°79
C'était le lendemain de...
Adulte

C’ÉTAIT LE LENDEMAIN DE CE MATIN-LA

« C’était le lendemain de ce matin-là ; le soleil brillait par la fenêtre. Ou tout du moins, ses premiers rayons tentaient de percer à travers les carreaux. Embués à l’heure de la rosée, je voyais les verres déployer leur éclat sous l’effet de la chaleur de la pièce. Assise confortablement dans la chaise à bascule, je répétais le va-et-vient, mes pieds prenant appui sur le rebord de la cheminée. Bordée par une couverture appartenant à ma grand-mère, je fixais les flammes virevolter et le bois crépiter, je pensais au secret que j’avais découvert la veille.
Depuis quelques temps, je cherchais la personne que je voulais être. Je cherchais dans le présent celle que je voulais être au futur. Aux terrasses des cafés, dans tous les lieux branchés, dans le regard de ceux que je côtoyais, je cherchais un signe. J’étais de toutes les soirées, de tous les événements. Les musées, le cinéma, les conférences, je me nourrissais de ce que l’extérieur m’apportait. J’écoutais autant que je ne parlais et jamais le silence ne venait se poser. 
Et puis quelques signes n’ont pas trompé. J’ai commencé à décliner des propositions, je me suis mise à inventer des excuses, un peu bidons. Je n’ai plus mangé, et les seuls repas auxquels je me présentais sont devenus une corvée. J’ai laissé les questions m’emporter. Je suis devenue las de je ne sais quoi. J’étais,sans être vraiment là. Mes proches se sont inquiétés et j’ai fini par abdiquer et par accepter de trouver la personne que j’étais. Si jusqu’ici j’avais cherché l’approbation, à être dans le regard de l’autre, je devais à présent me construire par un prisme que je ne connaissais pas, moi. Ce moi que j’avais sculpté, dompté, parfois violenté, pour correspondre aux dogmes de la société, j’allais dorénavant l’écouter et l’appréhender.
Pour que l’introspection soit totale, j’avais emprunté la voiture d’un de mes proches et j’étais venue me retirer dans une maison de campagne qui appartenait à notre famille depuis plusieurs générations. Perchée sur une colline qui dominait la vallée Di Fiemme dans le nord de l’Italie, la maison offrait toutes les commodités tout en étant à l’écart de l’agitation de la ville. J’étais venue quelques fois étant plus jeune, mes parents ayant décidé d’investir ce lieu de villégiature. Nous venions passer l’été quelques jours en famille, profiter de l’air alpin la journée, et des soirées lorsque les températures devenaient plus supportables pour chacun. Je me satisfaisais de peu à cette époque, je jouais dans les prés sans regarder l’heure qui avançait. Le retour du berger et de son troupeau de Maremmanas dans les herbes hautes nous indiquait qu’il était l’heure de rentrer. C’est alors que nous courrions en direction de la maison, passant en chantant devant l’humble berger au visage immaculé et la peau tannée par le soleil. Il laissait exprimer un large sourire en nous voyant courir à vive allure, nos têtes dépassant à peine les herbes folles. Buena sera Signore. L’homme ne prononçait aucun mot mais nous saluait joyeusement en levant sa canne et son béret. Chaque soir le même enthousiasme nous habitait. Une fois rentrés, nous racontions les grenouilles, têtards, et autres souvenirs rocambolesques que ma mère écoutait préparant les légumes du potager et mon père remplissant la cheminée, celle là-même sur laquelle mes pieds reposaient aujourd’hui.
J’étais arrivée la veille un peu tard dans la matinée. J’avais trouvé les clefs sous le paillasson, et avais poussé la porte en bois, dont je me rappelais la lourdeur tant il me fallut la pousser de tout mon poids pour l’entrouvrir. A l’intérieur, tout était fidèle à mes souvenirs. Les chaises à bascule sur la droite, la cuisine en face, et la table à gauche qui occupait le reste de la pièce principale d’où partaient les escaliers qui menaient aux chambres. Il ne me fallut que peu de temps pour constater que rien n’avait bougé. Rien ne m’était étranger. Je faisais mes premiers pas dans la maison, j’effleurais du bout des doigts les meubles qui n’avaient accueilli que la poussière. J’avais la sensation de n’avoir jamais quitté ce lieu. Je nous revoyais, les cinq enfants, sauter sur les lits et nous chamailler pour savoir qui descendrait le dernier. Je posais mon sac dans la chambre aux draps roses, instinctivement. Je continuais ma visite par le deuxième étage où un dortoir nous accueillait quelques années plus tôt. Je balayais du regard la pièce avant de redescendre d’un étage pour installer les quelques affaires que j’avais apportées. Je regardais la penderie au-devant de laquelle était fixé un miroir. Sur le côté, dans le chêne vernis, nous prenions le temps de graver nos mesures, comparant chaque année celui ou celle dont la croissance avait battu des records. Je souriais à cette idée, à l’innocence que nous avions partagée. A l’intérieur de la penderie, les étagères avaient été tapissées d’un motif floral. J’époussetais avec le revers de ma manche les quelques moucherons que j’y trouvais pour poser mes tee-shirts et mes jeans délavés. En refermant la porte, mon regard se fixa sur un bout de tapisserie qui se détachait de la surface d’une étagère. Dans un premier temps, j’essayai de repasser ma main pour recoller le papier. C’est alors que du bout des doigts, je sentis une épaisseur entre la tapisserie et le bois. Je relevai le bout qui se décollait et trouvai une enveloppe. J’eus la sensation étrange que j’allais être le témoin d’un secret que peu d’entre nous détenait. Je pris l’enveloppe et allai m’asseoir sur lit. Je la décachetai et découvris des lettres tantôt écrites en italien, tantôt en français. Je ne mis que peu de temps pour comprendre qu’il s’agissait de lettres d’amour, de tendresse et d’affection. Une chose étrange attira mon attention. Aucune d’entre elles n’étaient signées. Je pris un temps pour réaliser ce que je venais de découvrir. Je posai les lettres sur le lit et allai à nouveau fouiller la penderie, scrutant chaque recoin des étagères afin de chercher un indice ou toute autre information qui me permettrait de mettre en lumière les auteurs de ces missives. A mon grand regret, je ne trouvai rien. Je retournai m’asseoir sur le lit et repris chaque lettre. Mon apprentissage de l’italien en seconde langue ne me permis pas de saisir chacune des phrases, mais j’en compris rapidement le sens. Il s’agissait d’une histoire d’amour impossible entre deux jeunes gens. Il était question de rencontre secrète, de désir ardent et de familles ennemies. A la description que le jeune homme faisait de sa dulcinée, il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait de ma grand-mère. Je levai le voile sur ce qui avait été le premier amour de la Mamma comme nous aimions à l’appeler. Mon cœur s’emballa et mon souffle s’accéléra. J’ouvris la fenêtre pour reprendre mes esprits. Je me rassis à nouveau. En reprenant les lettres, un détail au coin droit m’arrêta. L’homme avait pris le soin de parapher des initiales. Ces initiales ne me semblaient pas inconnues. Mes yeux balayèrent la pièce comme pour chercher à quel endroit ces initiales étaient apparues. J’eus soudain une idée. Je me levai à la hâte et descendis les marches des escaliers deux par deux, et ouvrai le coffre en bois attenant à la cheminée. Je pris une quinte de toux, la poussière s’étant accumulée sur le dessus. Je sortis une couverture et la dépliai sur la grande table de la salle à manger pour observer le dessin que ma grand-mère avait brodé. Je m’étais couverte maintes et maintes fois avec cette couverture étant petite sans réaliser que le dessin représentait une maison perchée sur la colline au-devant duquel la Mamma avait pris soin d’apposer les initiales « GL », celles-là même qui étaient sur les lettres que je venais de trouver. Il me fallut quelques minutes pour réaliser que cette petite maison en pierre m’était familière. Sans trop réfléchir, je pris ma veste et ouvrit la porte. Tantôt marchant, tantôt courant, je pris la route que nous empruntions en famille puis coupai par le champ dont les herbes hautes me chatouillaient les mains avant de rejoindre un petit chemin en pierre qui menait à une maison abandonnée, celle que la Mamma avait brodée. Essoufflée, j’arrivai à l’entrée du chemin privé délimité par quelques grosses pierres sur lesquelles reposaient une boîte aux lettres. Tentant de retrouver mon souffle, les mains sur les genoux, j’esquissai un sourire empreint d’émotions en découvrant le nom du propriétaire gravé sur une petite plaque en bois : « Gianni Lombardi ». Gianni n’était autre que l’humble berger au visage immaculé et la peau tannée par le soleil. A cette idée, je souris et repris le chemin de notre maison, convaincue que je venais de faire s’unir à nouveau la Mamma et l’être qu’elle avait tant aimé. Toujours assise dans la chaise à bascule, je réalisais que ces dernières vingt-quatre heures avaient donné un sens à mon histoire personnelle. J’étais la petite fille de la Mamma, le petit fruit d’un amour passionnel. 

- Maëlle Nizard

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