N72: La soirée
MANUSCRIT N°72
C'était le lendemain de...
Adulte
LA SOIRÉE
C’était le lendemain de ce matin-là ; le soleil daignait enfin sortir de sa cachette, ses doux rayons
venaient faire chauffer doucement la peau de mon dos. La fenêtre était ouverte et le chant de la
circulation ronronnait dans mes oreilles. Cela devait faire un bout de temps que j’étais réveillé, et
pourtant, l’envie de me lever continuait de me fuir. Après tout j’avais le temps, pourquoi ne pas
profiter encore un peu de la douce sensation du soleil baignant la pièce. Je parvenais presque à sentir
l’odeur du café que servait le bar juste en dessous de mon appartement : cela finit de me pousser
hors de mon lit. Tel un toxicomane l’envie de café était plus forte que tout et rien ne pouvait me
détourner de mon objectif, pas même le coin de ma commode qui vient heurter mon petit orteil.
Voilà, rien de mieux pour finir de me réveiller et pour dissiper l’espèce de torpeur dans laquelle je me
trouvais.
Pendant que le café coulait je laissais mon esprit divaguer et il s’égara. Il revient à ce matin-là, hier,
quand je leur avais dit au revoir. Le café était prêt, j’allais m’assoir sur mon canapé où je fus bientôt
rejoint par Grumkarl, sans doute le chat le plus moche du monde mais aussi mon unique compagnon.
En le caressant je regardais au dehors, et le drap de mon esprit s’était alors prit dans le fil de mes
pensées. La musique à fond toute la nuit, les rires, les gens, tout qui tournaient autour de moi et se
muaient en une sorte de farandole colorée et indescriptible, et puis ton rire. La sonnerie de mon
téléphone me réveilla. C’était Thomas, il me proposait de le rejoindre dans un café pour déjeuner et
parler de notre projet de start-up. Au prix d’un énorme effort de volonté je poussais le terrible félin
qui laissa échapper un grognement et je filais sous la douche. L’eau chaude ruisselait sur mon corps
et je regardais les gouttes faire la course le long de mes bras et épouser les courbes de mon corps.
J’adorais ce moment, quand l’eau coulait sur ma tête et bouchait mes oreilles, m’isolent du monde
extérieur ou m’enferment à l’intérieur de moi-même. En fermant les yeux je revoyais les éclats de
lumière, les visages radieux. Mince j’allais finir par être en retard et Thomas allait encore me dire que
j’étais pire qu’une gonzesse. Une fois habillé, les clefs au fond de ma poche, j’attrapais mon
téléphone et mes écouteurs et je parti enfin. De chez moi au café il n’y avait que deux stations de
métro, ça me laissait peu de temps. Je m’aventurais dans les boyaux de la ville, et une fois mon ticket
composté, j’enfonçais mes écouteurs et je lançais du Fauve. Effectivement ce n’était pas très joyeux.
Pourtant rien ne m’aidait mieux à réfléchir, et puis j’étais quelque peu mélancolique de ma jeunesse
où j’écoutais ces musiques à fond dans ma chambre. Je n’étais pas bien vieux, vingt-trois ans ce n’est
pas bien vieux. Enfin tout dépend du point de vue ; les enfants m’appelaient monsieur et les hommes
me toisaient. J’aimais beaucoup mon âge : j’étais jeune et pourtant j’étais enfin autonome. La vie me
tendait les bras. En parlant de bras, je revis les notre tendu vers le ciel, tournoyant au rythme de la
musique. A vingt-trois ans on était inépuisables. La musique changea, je relevai la tête ; je devais
descendre au prochain arrêt. En sortant du métro une jeune femme blonde me bouscula, elle me
faisait penser à toi, belle inconnue d’hier. L’inconnue avait déjà filé dans les galeries du métro, j’étais
seul, bêtement immobile au milieu du quai et l’horloge sur le mur indiquait 9h20. Il fallait vraiment
que je me concentre.
J’étais enfin sorti du métro et un léger vent vint remettre mes boucles brunes devant mes yeux.
Alexandre, ça me revenait, avait fait remarquer qu’avec le soleil levant mes yeux bruns semblaient,
tout d’un coup, brodés d’or. C’était ce fameux matin. Je vis Thomas assit à la terrasse et il regardait
nerveusement son téléphone. J’allais avoir le droit à un sermon. Je tirai une chaise et m’installa
devant lui, ça n’avait pas louper. Il m’engueula car j’étais encore en retard. Sacré Thomas, toujours à
l’heure, l’un des plus sérieux de la bande et pourtant si mes souvenirs étaient exacts, et ils l’étaient, il
avait bu la nuit dernière. Nous avions commandé : un expresso pour lui, un vrai adulte et pour moi
un cappuccino avec beaucoup de lait et de sucre. Nous ne grandissions pas tous à la même vitesse :
« -Alors as-tu pu dormir hier après-midi ? demanda Thomas en relevant ses lunettes sur sa tête.
-Oui heureusement, sinon je n’aurais pas pu me lever si tôt ce matin.
-Il va falloir qu’on y aille doucement sur les soirées si on veut que notre start-up marche. Es-tu
conscient que cela va demander beaucoup d’investissement ?
-Evidemment que oui, justement la nuit dernière c’était notre dernière nuit de personne immature. »
La conversation se poursuivit principalement autour de notre projet futur. Vers 10h30 mon ami me
déclara qu’il devait aller retrouver sa famille pour un repas qui semblait l’enchanter, vue comme il
avait mimé sa propre pendaison en parlant de son cher père. Après une ultime blague sur sa famille
faussement bourgeoise, nous nous quittâmes en nous disant à lundi prochain, quand nous aurions la
chance d’inaugurer nos nouveaux bureaux.
Je me levais également. Il était encore tôt, la perspective de retourner m’affaler sur mon canapé usé
me déplaisais tellement que je décidais d’aller flâner en ville. Qui sait, j’y croiserais peut-être
quelques connaissances. En marchant, toujours avec ma musique, je ne pouvais pas empêcher les
souvenirs de remonter. Je décidais alors de m’assoir sur un banc, je renversais légèrement la tête en
arrière et regardais les nuages se transformer dans le ciel azur.
On était arrivés en retard à cette soirée. Samia avait mis tellement de temps à se préparer. D’ailleurs
avec Camille et Thomas on avait commencé à se demander si nous n’allions pas passer la nuit à
l’attendre. Finalement Alexandre avait fini par arriver : à peine avait-il passé la porte que la
retardataire avait surgie comme par magie de la salle de bain. Je pense que la jeune fille n’était pas
insensible aux charmes d’Alexandre. Ce n’étaient pas mes histoires en même temps, et puis c’était de
nos âges. On était parti, en route pour cette fête, qui promettait d’être phénoménale. On n’allait pas
être déçus. Sur place, dans une grande maison en périphérie de la ville, des dizaines de jeunes se
balançaient déjà sur le rythme des basses. On ne connaissait pas grand monde ; mais on voulait juste
nous amuser une dernière fois, avant d’entrer tous définitivement dans la vie active et que nos
chemins se séparent. A peine arrivés on avait commencé à boire, pas trop, on voulait en garder des
souvenirs. Et puis on avait dansé comme si nous avions le diable au corps. La chevelure de Camille
ondulait autour d’elle et Samira, perchée sur les épaules d’Alexandre, tentait de ne pas renverser son
fond de bière et cela semblait beaucoup l’amuser. Thomas, renonçant à ses principes, avait bu et il
était déchainé. C’était si bon. Les spots qui nous éclairaient par intermittence, nos visages irradiant
de bonheur et d’innocence, les rires des filles, les cris absurdes des mecs survoltés, la musique qui
vrillait nos tympans. Ça valait le coup de finir sourd pour profiter à fond de ces petits moments
uniques et hors du temps. Et puis elle, cette fille, inconnue mais magnifique qui me fixait. Pourquoi
diable je n’étais pas aller lui parler, malgré les encouragements de mes amis et de mon envie. Je ne
sais pas. Je crois que je ne voulais pas laisser mes potes alors que c’était peut-être notre dernière
soirée, ou alors la timidité. De toute façon à l’heure qu’il était, cette belle inconnue était sûrement
loin. Pense-t-elle à moi ?
Nous n’avions pas dormi. Vers six heures nous étions partis arpenter la campagne seul, dans l’espoir
de trouver un coin où regarder le soleil se lever. Notre bande avait marché tant bien que mal sur les
chemins, et j’avais dû soutenir le brave Thomas pour ne pas qu’il tombe. Nous avions fini dans un
champ sur une colline ; face au plus beau levé de soleil que je n’avais jamais vu. Tous assis côte à
côte, appuyés les uns contre les autres comme ces cinq dernières années, nous avions admirer l’astre
de lumière éclairer nos visages fatigués. Des rires nous échappaient. Nous étions les rois du monde.
Tous ensemble prêt à affronter nos avenirs.
Les larmes coulaient doucement sur mes joues. Je n’étais pas triste, loin de là. Ces souvenirs
magnifiques me remplissaient de bonheur et de sérénité, c’était ma jeunesse. On se reverrai mes
amis, je le savais. Notre jeunesse était loin d’être révolue, il nous restait tant de chose à découvrir.
- Lou-Ann Schmitt
Commentaires
Enregistrer un commentaire