N45: A ma fenêtre
MANUSCRIT N°45
Récits et aventures d'un confiné
Adulte
A MA FENÊTRE
Mercredi 18 mars 2020
Je commence déjà à prendre de nouvelles habitudes et notamment celle de me pencher à
ma fenêtre, surtout celle de ma cuisine.
C’est fou tout ce qu’il y a à voir et à faire d’une fenêtre du 3ème étage !
Tout d’abord, sentir les doux rayons du soleil sur ma peau. J’ai la chance d’être exposée SudEst. Mais attention ! à ne pas attraper des coups de soleil : le comble en cette période de
confinement, voire même suspect… Où est ma crème solaire ? C’est pour le moins original !
Je peux respirer l’air pur. Encore une chance ! puisque moins de circulation, moins de
pollution !
Et aussi, moins de bruit… ou des bruits différents : les oiseaux s’en donnent à tue-tête,
perchés sur les branches des arbres à proximité. Je les entends d’habitude, mais leurs
gazouillements sont recouverts par le bruit des voitures. Là, ils reprennent leurs droits dans
le jardin de la propriété juste en face. Un peu de campagne en pleine ville, ça fait du bien !
Je savoure même des moments de grand calme. Tout est à l’arrêt et tout est là en même
temps, comme une méditation.
Je découvre également ma vie de quartier : les familles qui remontent la rue et qui gèrent les
enfants comme ils peuvent. Comment les enfants vivent cet événement ? Gardent-ils toute
leur insouciance ? Ou sont-ils déjà formatés dans des peurs ?
Les jeunes couples font du footing et se mettent chacun sur un trottoir pour respecter la
sortie individuelle. Où est la cohérence entre rester séparés en extérieur pour son footing,
mais vivre sous le même toit et coucher dans le même lit le soir ?... J’ai du mal à
comprendre.
Les papis/mamies de la maison de retraite en face, n’ont pas l’air d’avoir changé leurs
habitudes : rester confinés, ils savent ce que c’est !
Ce sont toujours les mêmes qui regardent à la fenêtre : la dame du 4ème étage, 2ème fenêtre
en partant de la droite. C’est Madame « Cachotière ». Elle a son chéri avec elle. Les visites
entre résidents sont donc autorisées ?
Au 3ème étage, 1ère fenêtre en partant de la droite, c’est Monsieur « Rideau Mirador » : tous
les matins dès 6 h 45, il est là, derrière son rideau opaque qu’il soulève toutes les 2 minutes
pour regarder ce qui se passe. On se jette des coups d’œil en coin… on s’observe… On
communique dans un sens, mais sans jamais se parler…
Au 5ème étage, 2ème fenêtre en partant de la droite, c’est Madame «TV Sombre ». A une
époque, elle avait les cheveux teints noir corbeau. Son visage est toujours aussi triste, le
regard perdu quelque part. Avant, elle regardait tous les jours, de longs moments, par sa
fenêtre. Ça en devenait même gênant, comme si elle scrutait tout ce qui se passait. En plus,
elle mettait sa télé hyper fort : parasitage sonore ! Et puis, je ne l’ai plus vue. J’ai juste
remarqué le rideau à moitié déchiré. Peut-être son état s’est-il dégradé ? En revanche, je
vois toujours la lumière de l’écran de sa télé allumée, comme l’unique lien de
communication vers l’extérieur.
Enfin, il y a monsieur « Le Mateur », 4ème étage, 6ème fenêtre en partant de la droite. Avec
ses lunettes rectangulaires, ses cheveux châtains un peu gras, son ventre proéminent, sa
chemise à carreaux et son gilet en laine marron. Il a toujours été fourré à sa fenêtre, à
regarder pendant des heures ce qui se passe. Le temps doit paraître bien long dans une
chambre d’à peine 15 m2, seul toute la journée avec pour compagnie la télévision.
L’animation de la rue est sa seule distraction.
Toutes ces histoires qui se dévoilent, se devinent derrière de banales paires de rideaux.
J’ai aussi une autre occasion de me pencher à ma fenêtre ! mais c’est pour la bonne
cause !... En hommage au personnel médical, chacun est invité à applaudir. Ils méritent
encouragements et admiration pour leur dévotion. J’applaudis ! j’allume mes lumignons
chaque soir à 20 h 00 !
Lundi 23 mars 2020
J’entends de la musique dont le volume est beaucoup trop fort. Ça vient de mon immeuble
mais je n’arrive pas à déterminer de quelle fenêtre ?
Une course à faire. J’en profite pour aller voir une amie à sa fenêtre et discuter un petit
moment.
Sur le chemin, j’entends deux enfants, dans une même rue, jouer par fenêtres interposées :
« Tu veux jouer aux Playmobils ? ». Ce sont les nouveaux moyens de communication !
De retour de courses, la musique résonne encore à fond dans la rue. Je consulte mon
ordinateur, la fenêtre de la cuisine ouverte. J’ai du mal à me concentrer. Le son extérieur
m’importune. Au bout d’un moment, je craque et crie par ma fenêtre : « Baissez la musique !
c’est trop fort ! ». Je le répète à deux reprises. Le son semble s’atténuer.
Trente minutes plus tard, la musique a repris de plus belle. Je n’en peux plus ! Je me penche
à ma fenêtre et hurle « Arrêtez la musique ! c’est trop fort !! … » Pas de réaction.
J’interpelle un voisin du 1er étage par son prénom. Ma voisine de palier se met à sa fenêtre.
On se salue et elle me confirme qu’elle trouve que la musique est pénible. J’hurle à nouveau.
Le voisin du 1er finit par pointer le bout de son nez et il répond : « Là, c’est pas moi ! ».
Enfin, une autre tête se pointe au 2
ème étage : un jeune homme, sûrement un étudiant. Il a
l’air confus. Je lui dis : « Soit vous baissez le son, soit vous fermez vos fenêtres ! ». Il
s’exécute. Je le remercie.
Retour au calme, propice à la sieste ! J’apprécie. J’espère que mes voisins et les p’tits vieux
aussi !?...
J’ai commencé le lavage des vitres à raison d’une fenêtre par jour. Comme dit mon
professeur de Do-In, mieux vaut effectuer chaque tâche lentement et en conscience afin de
garder de la réserve pour les jours suivants car le confinement ne va pas s’arrêter demain !
J’entame la 2ème fenêtre aujourd’hui. J’en ai 4 en tout. Planning pour 4 jours. Peut-être
aurais-je dû me fixer une seule vitre par jour, avec 4 vitres par fenêtre soit 16 jours de
gagnés. Ou encore mieux, un recto de vitre par jour soit 32 jours !
Avec ce grand soleil, je trouve que c’est un vrai temps de méditation, sous le regard discret
des pensionnaires de la maison de retraite. Je viens de me faire un nouveau copain : un papi
me fait un signe de la main. Je lui réponds. Une nouvelle histoire qui commence.
Par ma fenêtre, j’aperçois un chat gris tigré. Il passe sa tête à travers le portail, jette un coup
d’œil à droite, à gauche. Le champ est libre. Il se lance à l’extérieur de la résidence.
Comment se passe la vie des chats ? Ils ont bien dû remarquer qu’il y avait beaucoup moins
de circulation d’humains et de voitures dans les rues ?... Encore plus d’espace et de
tranquillité.
Jeudi 26 mars 2020
20 h 00 – je vais
à ma fenêtre pour les applaudissements. Je vois trois policiers en bas de la
maison de retraite avec un homme portant masque, combinaison et gants. Puis j’aperçois un
corbillard… ils apportent un cercueil. Ça fait froid dans le dos… la réalité est là, en face. Ce
décès n’est peut-être pas dû au covid-19 ?... Si dans les jours qui viennent, je vois un défilé
de corbillards et de policiers, j’aurai la réponse…
20 h 45 – A ma fenêtre, je vois deux hommes avec masques, combinaisons, gants… Encore
un décès ?... Cette fois, c’est un véhicule d’ambulanciers. Ce sera sur un brancard que le
pensionnaire sortira… prochaine victime ?... Décidément, c’est la soirée !... Ambiance
funèbre… je suis aux premières loges.
Vendredi 27 mars 2020
10 h 00 - De ma fenêtre j’aperçois le facteur qui descend ma rue… je vais peut-être avoir du
courrier aujourd’hui.
Les seuls autres véhicules qui circulent, sont les camionnettes de livraisons : DHL, UPS, DPD
etc… La consommation aura toujours le dessus. Même confinés, les gens ne peuvent
s’empêcher de faire du shopping. Promos en vrac !
Samedi 28 mars 2020
J’ai une vue plongeante sur le jardin du bel immeuble « bourgeois », sur la droite. Le corona
n’a pas l’air de trop perturber leurs esprits : apéritifs en plein air, jeux de ballons, séances de
bronzage sur les transats…
Je prends des bains de soleil entre deux conférences sur le net. Moi aussi, je vais être
bronzée à la fin du confinement.
Shaun, mon mouton solaire, dodeline son popotin sur le rebord de la fenêtre. J’entends son
doux balancement généré par le rayon du soleil.
Chaque jour à ma fenêtre, la vie continue… je n’ai pas revu de corbillard.
- Béatrice Massin
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