N42: A l'abri du bal, seule j'ai dansé
MANUSCRIT N°42
C'était le lendemain de...
Adulte
A L'ABRI DU BAL,SEULE J'AI DANSÉ
C’était le lendemain de ce matin là ; le soleil inondait la maison, le ciel comme libéré de
tous nuages et semblait respirer.
Surprise par le bruit des oiseaux et l’éclat de rire d’un tout petit enfant, je me suis approchée
de la fenêtre, la ville était déserte.
La vie s’était arrêtée, elle était nue, inerte, les salles de spectacles étaient fermées, les
programmes reportés, j’étais sans travail. On nous disait qu’il fallait rester dedans, ne plus
aller au dehors, car à l’extérieur c’était l’ennemi, c’était la mort.
Pourtant le chant des oiseaux se faisait entendre.
Je m’étais surprise à frissonner : j’étais en immersion totale entre hier et demain, comme en
transit, comme venue de nulle part et sans savoir ou aller, égarée.
Un grand bal masqué avait lieu dans la ville oui mais il s’agissait d’une danse sans
effleurement, sans regard, sans chaleur, sans émotion, sans contact.
Quand cette danse allait-elle cesser ?
Pour m’apaiser un peu j’ai eu envie de monter au grenier. Prise dans mon tourbillon de vie je
n’étais pas montée dans les combles depuis une éternité. Cet endroit si fréquenté par mes
ancêtres. Les souris ne m’effrayaient pas non, je me sentais moins seule.
J’avais levé la trappe et je m’étais hissée à l’intérieur. Un rayon de soleil comme un
projecteur a traversé la pièce, une partie était dans la pénombre, mais de l’ombre se
dégageait une étrange clarté : j’étais comme au milieu d’une scène. J’ai éprouvé alors une
étrange sensation de bien-être, un instant de renaissance.
Une odeur de poussière me fit tousser, sur le plancher : les couleurs multiples de tissus
soyeux comme un arc en ciel se reflétaient sous la lumière. Au fonds de la pièce, la vieille
armoire était entrouverte, il en dégoulinait des vieux costumes déchirés et des chapeaux.
Des gants en dentelle noire troués débordaient d’un tiroir.
J’ai avancé très lentement en observant chaque recoin des combles, j’ai renversé un
chevalet laissé à l’abandon, des livres ouverts jaunis étaient tombés de la petite
bibliothèque, une souris a dévalé sous mes pieds, quelle idiote j’ai failli tomber !
Puis, dans le reflet du miroir bancal piqué de tâches noires, j’ai distingué une ombre à l’autre
bout de la pièce posé sur le plancher, j’ai tourné la tête et me suis approchée, c’était un
coffre en bois noir fermé. Il a attisé en moi une curiosité telle que je me suis mise à chercher
la clef de toute part …. mais où était-elle ?
J’ai remué les coussins d’un vieux canapé en velours, mes mains soulevaient la poussière de
l’armoire, les toiles d’araignées entouraient mes poignets, … il fallait que je la trouve …cela
m’a semblé une éternité.
Elle était glissée sous un vieux tapis.
J’ai ouvert le coffre et là j’ai découvert un amas de vieux objets: un téléphone qui avait dû
appartenir à mon arrière grand-père, un parapluie, un vase ébréché en terre cuite, un
coucou, les perles blanches en nacre d’un collier cassé, une vieille poupée de chiffon dont le
temps n’avait visiblement pas altéré la beauté des cheveux et en dessous …. il était là… il
était bien là, Pierrot.
Je me suis emparée de sa face, le temps avait atténué le noir de ses sourcils mais son visage
magnifique exprimait toujours une grande tristesse : les sensations ont afflouées et les
souvenirs aussi, à lui seul il me fit voyager.
Des odeurs mêlées de lavande et de foin flottaient dans la pièce, comme c’est étrange …
J’entendis soudain le son d’un violon dehors mais était-ce bien réel ? qui pouvait jouer du
violon ?
Alors avec mon masque à la main je me suis mise à tourner, danser, et tourner encore et
encore dans l’alcôve des merveilles, même les souris doivent s’en souvenir.
Un petit peu étourdie, je me suis allongée sur le vieux lit près de la lucarne.
J’avais pénétré la boîte de pandore.
Je me suis endormie comme surprise par un rêve :
« j’allumais une bougie et j’observais la flamme tandis qu’une voie me chuchotait «quelque
chose arrive, quelque chose change …» .
Quand je suis redescendue dans la maison Il était tard, il faisait nuit même les étoiles étaient
éteintes.
Masquée je suis sortie dans la cour pour à nouveau danser un peu avant d’aller me coucher.
Derrière le masque, je n’ai pu retenir mes larmes, nous étions en phase Pierrot et moi.
A cet instant seulement, je me dis que la vie était belle et douce et qu’il existait des trésors
cachés, bien enfouis, bien logés, des richesses capables de contrebalancer celle nouvelle
étrange réalité, presque irréelle et cet avenir si inconnu, si peu palpable.
Soudainement j’ai craint que l’éclat du jour du lendemain matin puisse nuire à la lumière
intérieure de la maison alors j’ai décidé de retourner là haut, bien blottie, pour attendre,
pour patienter, pour danser un peu, pour laisser la place au rêve, à la créativité, à
l’imaginaire
- Christine Steibel
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