N36: Grand-Père

MANUSCRIT N°36
C'était le lendemain de...
Adulte

GRAND-PÈRE

C’était le lendemain de ce matin-là où le soleil avait décidé de bouder. La grisaille qui filtrait à travers les volets incita la jeune femme à s’enfoncer un peu plus sous la couette en s’y enroulant.
Rien ne lui paraissait plus important à cet instant que de se calfeutrer, de s’envelopper dans la douce chaleur du lit. 
Seule façon pour elle de retrouver le bonheur éprouvé la veille, lorsqu’elle s’était réveillée au même endroit avec de merveilleux souvenirs. 
Voilà deux nuits qu’ils se rejoignaient. 
Des sensations oubliées depuis longtemps l’envahissaient et elle s’en délectait. 
Déjà elle se posait la question de savoir si la nuit prochaine serait identique, s’il reviendrait ? 
Elle savait que sa journée allait se passer à l’attendre et à tenter de ne pas oublier le moindre détail de la nuit précédente. 

La 1ère nuit : 
Pourquoi cette nuit-là précisément ? Pourquoi à cette heure où le sommeil profond vient de vous quitter, avait-il choisi de se présenter ? 
Il n’avait pas changé : droit comme un i, la mine un peu austère avec cependant un début de sourire tel le pince sans rire qu’il était. D’un air de dire « je te joue un sacré tour, hein ? »… Elle avait immédiatement reconnu l’odeur de vétiver qui le caractérisait. 
D’emblée il lui avait pris la main, sans lui laisser le loisir de refuser...toujours ce côté autoritaire qui pouvait rebuter au premier abord. 
Ils étaient partis faire ce voyage ensemble. 
A aucun moment, l’un comme l’autre ne s’était parlé. Lui, parce que c’était dans sa nature et elle, parce qu’il l’avait toujours intimidée. Pourtant, l’amour que lui portait cet homme pudique était palpable. Ses yeux le disaient : elle était son bien le plus précieux. Elle s’était toujours sentie autorisée à lui prodiguer des gestes qu’il n’aurait supportés de nulle autre. 

Voilà pourquoi à son réveil, elle ne voulait laisser échapper aucun de ces détails qui lui remplissait le cœur de douceur et de bien-être. 
Elle voulait retenir son odeur, la sensation de sa grande main sèche et douce à la fois. Les questions se bousculaient : pourquoi était-il revenu après toutes ces années ? Que lui voulait-il ? Pourquoi à ce moment précis de sa vie ? 
Il lui fallait quitter la quiétude de son lit mais elle avait déjà hâte d’être à ce soir. 

La 2ème nuit : 
Il ne s’était pas fait attendre et à la même heure que la nuit d’avant, il était arrivé. De la même façon que la veille, il s’était emparé de sa main et elle avait pu, au passage, respirer son odeur. 
Cette fois, elle avait osé lui poser les mille questions qui la taraudaient mais il s’était contenté de poser un doigt sur ses lèvres lui intimant ainsi l’ordre de se taire. Les réponses viendraient en temps et en heure semblait-il lui dire avec ce demi sourire taquin. 

Comme elle le faisait autrefois, elle avait eu envie de passer ses doigts dans cette chevelure ondulée et toujours bien coiffée, d’aller chercher au creux de son cou, l’odeur du vétiver.Seul le sentiment que l’instant n’était pas choisi l’avait retenue. 
C’est alors qu’elle comprit la raison de ce retour : son grand-père avait décidé de l’aider à retrouver son âme d’enfant en l’emmenant voyager dans sa propre enfance. 

Tout y était : la maison de vacances dans les Cévennes, la rivière où ils allaient chercher la fraicheur au cœur des heures les plus chaudes, les gâteaux grignotés avec le lait caillé fait par sa grand-mère…mais surtout, les heures passées assise sur les genoux de son Papy à écouter les airs d’opéra qu’il lui fredonnait, les chansons un peu coquines voire paillardes qu’il lui chantait et qui mettaient Mamy en colère. 
Son Papy avait toujours une réponse, une explication à lui donner…il la laissait faire quand elle décidait de le coiffer ou de lui déposer des bisous dans le cou. 
Il savait rendre simples des choses qui lui paraissaient insurmontables du haut de ces huit ans. 
Ce fut la dernière nuit où elle le retrouva pour ce voyage. 

Elle avait besoin de cette parenthèse d’amour que cette nuit lui avait offert... Tous ces moments d’intimité retrouvés en rêve, elle allait pouvoir en tirer parti pour traverser cette période où les problèmes s’accumulaient. 
Le confinement les rendait tous fous. Elle la première. 
Le retour de son grand père, même en rêve, l’avait apaisée. 

A tous nos grands-parents qui ont souvent vécu des périodes bien plus difficiles que la pandémie du COVID19.

- Claude Puillet

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