N35: Souvenirs,
MANUSCRIT N°35
Récits et aventures d'un confiné
Adulte
SOUVENIRS,
Aujourd’hui le soleil est là qui réchauffe les corps, les cœurs. Est-il vraiment
celui dont on a besoin en ces temps difficiles de confinement ? Je dis oui ! Quoi
de plus agréable que cette luminosité pour distinguer cette poussière si bien
installée dans tous les recoins sombres de la maison. Assise sur mon fauteuil je
la regarde, elle me nargue. C’est décidé je l’aurais. Je me fais un planning :
chaque jour une pièce, un meuble, les plafonds, les abats- jour…. J’ai donc
commencé par les lieux habituels, le confinement s’éternisant, il m’a bien fallu
passer à ce vieux meuble dont je n’avais pas ouvert les portes depuis des
années.
Outre la poussière, les toiles d’araignées, j’ai découvert toute une partie de
mon adolescence. Tout d’abord mes dizaines de dessins : nous avions la chance
parmi les vendangeurs de mes parents d’avoir les enfants du propriétaire des
papiers Canson ! Ils aimaient venir nous voir, à chacune de leur visite, ils nous
apportaient des grandes feuilles de dessin, du papier calque, de la peinture, des
feutres, des crayons de couleur. Un trésor pour nous. Mes parents aimaient
dessiner, peindre. Ils prenaient du temps : un pur bonheur familial ! Je me
revois l’été, installée au fond de la cour, juste à côté des cabanes à lapins. Une
grande table, tout le matériel nécessaire pour réaliser nos plus belles œuvres.
Nous avions chacun nos préférences : les paysages, les animaux, l’espace moi je
croquais les visages. Je retrouve le portrait de mon frère réalisé à partir d’une
photo d’identité. Un peu fière de moi en redécouvrant ce dessin, je me dis que
je reprendrais bien le crayon !
C’était notre moment de récréation. Car le matin nous aidions aux travaux
dans les vignes, nous ramassions les fruits et les légumes, quelque fois nous
gardions les vaches (un bon moyen de découvrir la faune et la flore). Une
famille nombreuse il fallait la nourrir, surtout prévoir pour l’hiver. Après notre
récréation, nous aidions à la préparation des conserves, des confitures. Presque
toujours dans la bonne humeur, papa aimait beaucoup raconter des blagues,
faire des jeux de mots, des contrepèteries. Il aimait aussi nous fabriquer, nous
inventer des jeux. IL nous confectionnait des arcs, des flèches, des tire- cailloux
comme il disait. Avec ceux-ci d’ailleurs il n’y avait plus de tasses en haut des
poteaux dans notre hameau , un interdit partagé avec les parents : trop bien.
Nous avions aussi nos instruments de musique : tambours en baril de lessive,
flûtes, guitares, tambourins ! Tout ceci pour faire un orchestre qui jouait très
faux bien sur. A la nuit tombée, il se cachait dans les vignes. Nous partions tous
sautillant et chantant « Promenons nous dans les bois pendant que loup n’y
est pas si le loup y était, il nous mangerait ». Là papa surgissait et attrapait l’un
de nous, il faisait semblant de le manger. Nous aimions nous faire prendre pour
avoir ce moment de câlins privilégié, des fous rires garantis.
Maman, avec 8 enfants et un commis comme on disait à l’époque, avait
beaucoup à faire. Elle prenait le temps de nous apprendre à cuisiner, coudre,
tricoter, tenir une maison les filles comme les garçons : « Nous devons tout
savoir faire dans la vie, on ne sait jamais de quoi sera fait demain » sa phrase
préférée. Elle gérait aussi les poules, les lapins, les pigeons, les chats, les chiens
et les vaches. Ah les vaches ! au moment de la traite nous étions là jouant dans
la paille, espérant le moment ou d’un jet maman nous enverrait une giclée de
lait tout chaud sorti du pis de la vache, c’était délicieux moi qui aujourd’hui
déteste ce lait stérilisé sans goût .Nous l’aidions à passer le lait, préparer les
bidons pour le passage du laitier tôt le lendemain matin. Ensuite elle passait à
la fabrication des fromages, un dosage de présure, une température au degré
prêt : un vrai petit laboratoire. Ses fromages étaient tellement bons. Le
ramassage des œufs était une source de conflit entre nous. Nous voulions tous
être les premiers pour cette cueillette. Les poules étant en liberté, nous
devions chercher partout dans la ferme : Pâques tous les jours pour nous avec
cette chasse aux œufs.
A côté de ce carton de dessins, je découvre mes disques : les 45 tours de ma
jeunesse ! Me voilà repartie l’été de mes 14 ans. Les sorties en mobylettes avec
mes copines, tous ces après-midi au bord de l’Ardière ou nous rêvions en
écoutant nos idoles de l’époque : Cloclo, Sheila, Ringo, Mike Brant …. Je ne
sortais jamais sans mon tourne disque bleu, rond qui fonctionnait avec ses six
grosses piles rondes qui ont dû couter une fortune à mes parents ! Ce bijou je
l’avais eu à Noël, une petite fierté, il me suivait partout. Nous écoutions
essentiellement des chansons entraînantes, nous faisions des après midi
rock’n’roll. Tous ces fous rires à essayer de faire les Claudettes : des moments
simples mais heureux et chaleureux. Nous étions six copines,
malheureusement, trois d’entre nous sont parties bien trop tôt, bien trop
jeunes avant 45 ans. C’est une douleur qui ne s’effacera jamais. Je garde les
meilleurs instants avec elles que ce soit sur les bancs de l’école, dans nos
escapades ou nos entraînements de basket.
Oh lala mes cahiers de chansons : ces fameux cahiers ou nous collions avec
amour les photos et les textes de nos chanteurs préférés, les années 70 .Tout
ceci récupéré sur des magazines comme « salut les copains ». Je retrouve aussi
les magnifiques chansons à texte recopiées de ma main: Mouloudji, Georges
Brassens, la môme Piaf et surtout Jean Ferrat chanteur idole de toute la famille.
« La montagne » ce chant se transmet de génération en génération chez nous.
Mes enfants, mes neveux, mes nièces tous connaissent cette merveille. Pas un
repas, pas une réunion de famille sans qu’elle ne soit fredonnée. C est l’âme de
papa qui flotte quand nous l’a reprenons en chœur.
Voila que maintenant mon grand classeur rouge me tend les bras. Tant pis je
l’ouvre et redécouvre des pages entières de dictons, de phrases émouvantes,
de bêtises trouvées ou entendues. Le tout recopié d’une écriture appliquée et
soignée. Je prends le temps d’en lire quelques unes ; certaines me font sourire,
ce sont les sentiments d’une adolescente, d’autres sont toujours d’actualités et
chargées d’émotions.
Tout à coup la porte s’ouvre, mon mari entre et se demande ce qui m’arrive.
Il comprend ce moment de nostalgie et me sourit, pourtant lui n’est pas du
tout sentimental ni fleur bleue, il est réaliste, terre à terre. Il est midi, l’appel du
ventre est bien réel. Il me faut quitter ce placard en n’ayant absolument rien
rangé. En ces temps de confinement, j ‘ai passé une matinée riche en
souvenirs, en émotions. Après le repas, je retournerai auprès de mes archives.
Je les classerai, je les rangerai amoureusement dans mon vieux placard tout en
me jurant de les regarder plus régulièrement. Parmi mes dictons je retiendrai :
« APRES LA PLUIE, LE BEAU TEMPS »
Un retour extraordinaire sur mon adolescence ! Surtout ne jamais oublier.
- Pascale Meunier
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