N31: Loïca confiné(e)

MANUSCRIT N°31
Récits et aventures d'un confiné
Adulte

LOÏCA CONFINÉ(E)

1er jour
 — Vous êtes bien Loïca Hernandez? Je balaie du regard l’aérogare, je regarde derrière moi . C’est bien à moi qu’il s’adresse. Je me dis « Pourquoi pas? » . Je suis fatigué de mon nom, de ma vie sans relief, de mon destin de mâle français de plus de soixante ans. J’en ai assez assez. Alors je réponds « oui, c’est moi! » et la voix m’enjoint de le suivre. Nous parcourons les trente kilomètres qui me séparent de mon domicile. Devant la porte de l’immeuble, il jette mes deux valises et ne me réclame pas d’argent. Il s’est juste aspergé les main de liquide hydro-alcoolique et brutalement referme la porte de son véhicule. 
Sur la boîte aux lettres la plaque avec mon nom, « Pierre Cadets ». Je l’arrache et colle à la place un post-it « Loïca H. 3ème étage pas de commerciaux s'il-vous-plaît! » Pas de commerciaux! Il n’y en aura pas, du moins pour longtemps. On peut anticiper non? 
Me voilà enfin confiné. J’en ai rêvé depuis que j’ai appris ce qui se passe dans le monde. J’ai pris peur de virus, peur de l’Amérique du Sud. Rentrer, se cacher sous les draps pour se dissimuler du Virus Malin . J’en conviens c’est un peu pathétique. Mais à mon âge « avancé » comme ils disent… Je suis bien organisé: ménage, lessive, vaisselle, tri de mes placards, courses une fois par semaine, courrier à jour. Bref tout fonctionne, mais…

2ème jour 
Ça a commencé un matin, ou plutôt le lendemain de ce matin-là où le taxi m’a laissé seul dans la rue. Le soleil peut témoigner que mon retour n’est pour rien dans ce qui arrive. Après l’épisode Loïca Hernandez, je me dis que c’est encore une de mes facéties, mon rêve éveillé. Fernando Pessoa prétend que la vraie vie est celle dont nous passons notre existence à rêver. En me regardant dans le miroir, ce matin là, deuxième jour de confinement, de manière plus attentive, je perçois un changement. Mon sexe diminue de taille de manière significative jusqu’à presque disparaître.  
Pourquoi vous dis-je cela? C’est totalement impudique, j’en conviens et à la limite du propos pervers Mais ne restez pas sur cette impression et attendez la suite ou … partez! Ah bon! Vous êtes coincés vous aussi, confinés, en cage en quelque sorte.

4ème jour 
Donc, mon sexe a diminué fortement. Je mets cela sur le compte de l’andropause. Je me dis que c’est un juste retour des choses. Le pendant de la ménopause… Après tout la gente féminine… Je ne finis pas ma phrase. Mes propos indiquent un autre changement: je suis en train de devenir un vioc… Ça fait beaucoup pour une nouvelle journée de con in fine.  

6ème jour 
Je ne sais pas comment je puis exprimer ce trouble. Je passe des heures dans la salle de bains. Au début cela ne m’a pas inquiété. Après tout, en confinement, on a du temps pour soi, du temps pour améliorer son apparence. Oui, pour qui?, me dites-vous. On ne sait pas trop… Peut-être pour soi tout simplement. Les smartphones ne sont pas aussi précis et il demeure, même en période d’enfermement, que je n’aime pas les selfies. Et puis au travers de ces images postées à la hâte, on ne voit pas trop l’intérêt de se montrer aux autres qui, à leur tour, se croient obligés de se photographier dans leur cellule. Il y en a même qui diffusent des photos anciennes de leur enfance ou de leur jeunesse envolée. Donc, je passe des heures à scruter les moindres recoins de ma peau, à m’épiler les sourcils, à passer du baume après rasage sur mon visage glabre, à enduire de gel ma chevelure qui se raréfie. Toujours rien d’anormal, me dites-vous! Oui mais…

8ème jour
Les jours passant, rien ne s’améliore au dessous de la ceinture. Je crois qu’en me fixant sur ce problème, je ne fais que le maintenir dans la durée. Cependant, mon torse évolue, lui, également. Ce n’est que peu perceptible au début puis plus net ensuite. J’ai pris des seins au dessus de ce ventre de future parturiente au 8ème mois. Pas de souci, tout a une explication. Le confinement y est pour beaucoup: la sédentarité, le rythme des trois repas maintenu, la cuisine améliorée pour le moral, tout concourt à un embonpoint déjà présent, mais sans aucun doute amplifié. Je ne vois pas d’autres phénomènes qu’une obésité émergente.

10 ème jour Ça se complique brutalement. Je me permets une sortie. Je n’ai plus grand-chose à manger, il est temps de se réapprovisionner. Je me suis lavé, briqué comme une jeune mariée. ( c’est reparti avec les clichés de vieux crétin…) . J’ai mis des habits seyants, un pull près du corps, un pantalon moulant. Oh! le pantalon n’a pas de mal à mouler, il aurait même tendance à boudiner…
Bon, me voilà dans la rue, un léger vertige comme lorsqu’on sort après une longue maladie, m’envahit. Loïca Hernandez part à l’aventure. 
Premier arrêt: un magasin de vêtements, fermé évidemment. Je compare les prix et choisis dans les habits en vitrine ce qui m’irait le mieux. Me suis-je rendu compte qu’il s’agit de vêtements féminins? Le vertige du retour à la vie urbaine, je crois alors. 
Tout se bouscule devant le chausseur de luxe de la rue principale. Je suis troublé. J’ai envie de talons hauts! Plus qu’une envie, un désir brutal… Je sais que cela va me faire mal. Même dans mes déguisements les plus fous, je n’en ai jamais porté. Heureusement le chausseur est aussi fermé que tous les commerces non « essentiels », car il n’est pas vital de porter des talons hauts. Je réprime cette nouvelle obsession d’un « non » réprobatif qui résonne dans la rue vide. Très nerveux, je me dépêche d’effectuer ce qu’ils appellent des achats de première nécessité dans un établissement autorisé. Le retour se fait au pas de course. Pas question de tordre les fesses ou de croiser le regard d’un homme. Je referme la porte à double tour

12ème jour
Mes lèvres s’arrondissent, elles sont charnues, presque érotiques. Mon cou semble s’allonger. La courbe de mon dos s’est légèrement creusée. Je n’ai presque plus de doute. — Tu es en train de muter en femme, Loïca Hernandez! ET tout me revient… La cuisine où je passe du temps à confectionner des recettes, le émissions d’après-midi sur France 2 pour les femmes à la maison, un intérêt soudain pour mes amis hommes que d’ordinaire je néglige leur préférant largement mes copines des réseaux sociaux. Tout ceci m’amène à cette conclusion étonnante et quelque peu douloureuse: je me mute en femme, et de surcroît pas en féministe, à priori! J’ai tous les travers de la ménagère de xx ans. Je ne dis plus mon âge, car pour une femme, ça ne se fait pas. 

15ème jour 
J’ai mis pour la première fois un pantalon large, comme pour chasser l’idée, mais elle est incrustée en moi. Je suis perdue, anxieuse, troublée au plus haut point. Pour le moment, il n’y pas de danger, le virus et ses conséquences me sont d’un grand secours, au point que je serais presque à souhaiter que le confinement dure très longtemps. 
— Loïca! Mais qu’est ce qui t’a pris de répondre à ce chauffeur de taxi? Maintenant tu es, Loïca une femme soumise, à personne par temps de confinement… Mais ton avenir….

- Pierre Panisset



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