N22: Nous sommes le 30 mars...

MANUSCRIT N°30
Récits et aventures d'un confiné
Adulte

NOUS SOMMES LE 30 MARS...

Je m’appelle Ada et j’ai 10 ans. 
C’est le printemps dehors et pourtant depuis quelques jours déjà je n’ai plus le droit de sortir de chez moi ! 
Nous sommes tous à la maison, mes frères et mes sœurs, ma maman et aussi mon papa qui d’habitude part très tôt le matin et rentre très tard le soir. 
Mais là, nous sommes tous à la maison et il ne faut pas faire trop de bruit parce que nos voisins, en haut, en bas, à droite et à gauche, sont eux aussi tous à la maison ! 
Il ne faut pas faire trop de bruit : « on doit respecter les autres » nous a dit maman !
Maman sort une fois par semaine pour aller chercher de quoi manger. 
Mais elle ne trouve pas toujours tout ce qu’elle veut : « il manque beaucoup de choses à l’épicerie et il va falloir faire attention à ne pas faire son gros gourmand, n’est-ce pas Mickaël ? » 
On a tous beaucoup ri en voyant la tête de clown de mon petit frère Mika ! 
Même papa a ri ! 
Pourtant papa ne rit plus depuis que nous sommes tous à la maison…

Je ne vois plus mes amis, je ne vais plus à l’école. 
Je ne vois plus mes grands-parents non plus, ni mes oncles, ni mes tantes, ni mes cousins d’ailleurs…
Il y a un parc en bas et avant d’être obligés de rester chez nous nous y retrouvions souvent après l’école, pour jouer pendant que nos mamans discutaient tranquillement sur un banc : elles riaient beaucoup, nous aussi, c’était bon ces moments tous ensembles… ! 
Nous sommes tous à la maison maintenant, chacun chez soi et en plus il ne faut pas faire trop de bruit. 

Maman nous a expliqué que dehors il se passe quelque chose de dangereux pour nous, qu’il faut rester à la maison, que c’est pour notre sécurité et notre bien. 
Elle nous a dit que c’était pareil pour mes grands-parents, mes oncles, mes tantes et mes cousins aussi d’ailleurs… 
Et que c’était la même chose pour nos amis, qu’ils restaient tous chez eux, sans faire trop de bruit… non plus ! Je vois bien que mon papa et ma maman sont très inquiets. 
Un jour, alors qu’ils pensaient que je ne les écoutais pas, je les ai entendus dire à voix basse : « C’est de pire en pire, les gens ne devraient plus sortir, ils se mettent en danger, ils mettent en danger leur famille, leurs amis, leurs voisins… » « il faut se protéger et essayer de croiser le moins de monde possible»;
Maman disait en pleurant : « nos vies sont en danger, j’ai tellement peur, pas pour moi, mais pour toi, pour eux… » et elle montrait d’une main douce les jeux éparpillés au coin du salon, en caressant d’un regard triste les poupées qui traînaient sur le fauteuil de papa ! 
« Quand est-ce que tout ça va s’arrêter… ? Peut-être que nous devrions emmener les enfants à la campagne, tu sais chez ton cousin qui est fermier, eux au moins ils ont de quoi manger correctement et les enfants pourront respirer l’air pur… ? » 
Papa lui a répondu : « non ma chérie, il est trop tard, ils demandent les papiers maintenant, ils sont à tous les coins de rue, on ne peut plus circuler, ils vérifient les identités, où tu habites… ils veulent nous confiner… » 
Alors j’ai entendu pleurer maman dans les bras de papa, sans faire trop de bruit…

Je m’appelle Ada, j’ai 10 ans, nous sommes le 30 mars… le 30 mars 1942 ! 
Il y a trois jours le premier convoi de déportation de Juifs partait de Paris… 
Depuis maman nous dit toujours : « il ne faut pas faire trop de bruit … » 

Je ne le savais pas encore mais notre confinement a duré des années entières et je n’ai jamais revus mes amis, mes grands-parents, mes oncles, mes tantes, …ni mes cousins d’ailleurs… !

- Béatrice Geoffray

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